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une visite à l’oncle Eusèbe. Et les autres ?

— Augustin voyage au Chili, mais il est sur le chemin du retour ; chacune de ses lettres me parvient d’une station plus proche. Je l’attends au printemps prochain ; d’ici là je l’aurai prévenu.

— De mon côté je lui écrirai. Reste le père de Claire.

— Mon pauvre Victor est en Russie, où il essaye de refaire sa fortune. Je te donnerai son adresse.

— Qu’est-il ?

— Ingénieur-chimiste. Oh ! lui ! je tiens à ce qu’il ne soit pas un jour de plus dans l’ignorance de ton retour vers nous. Il est parti si préoccupé à propos de ton installation à Vielprat ! … Tiens… si je demandais à Clairette de me servir de secrétaire au lieu d’avoir recours à Rogatienne comme d’habitude.

— Bonne idée. Cela t’évitera d’avoir à faire deux fois le récit de notre entrevue. Son père ne verra plus aucun inconvénient à ce qu’elle soit instruite de notre parenté, je suppose.

— Oh ! plus le moindre. Ce qu’il redoutait, si elle l’eût appris dans les conditions primitives, c’est qu’elle se sentit humiliée, se sachant ta cousine, d’être considérée par toi comme une étrangère, et, surtout ! comme une inférieure. Il craint tant pour sa fille le plus petit froissement !

— Je reviendrai demain. Tu me présenteras à Claire.

— Écoute, fit grand’mère en souriant, cela dépendra d’elle. Jamais elle ne fait une chose qui l’ennuie.

— Ah bah ! s’écria Hervé abasourdi.

— Ses parents l’ont élevée comme cela… Je lui proposerai donc de me servir de secrétaire. Si elle dit oui, elle saura tout. Si elle se dérobe, ce qui ne me surprendrait qu’à moitié, nous la laisserons chercher quelques jours : ce sera pour elle une bonne petite leçon.

— Va pour la leçon, puisque tu la juges salutaire à cette enfant gâtée. Je ne m’insurgerais que si je devais être privé de te voir.

— Pour cela, non. Tu peux toujours venir avec tes amis me faire une visite, en voisin. Tu m’appelleras madame, et moi je te dirai monsieur le baron… comme aujourd’hui, lorsque tu es entré. »

Il secoua la tête :

« Tu pourrais, toi, grand’mère, à présent ?

— Tout de même, mon enfant chéri. Je t’ai retrouvé, qu’importe un mot !

— Soit ; mais j’en voudrai un peu à la petite cousine si son caprice m’oblige à cela.

— Ne fais aucune allusion à l’escalier, surtout. Je tiens à démontrer plus tard à Claire qu’elle-même s’est enlevé l’occasion d’apprendre ce qu’elle grille de savoir, en me refusant l’aide de sa plume.

— Oh !… je ne peux croire… » protesta de Kosen.

Grand’mère hocha la tête :

« Et moi je ne réponds de rien. Elle m’aime beaucoup, mais, ce qu’elle préfère à tout, c’est faire ce qui lui plaît et rien autre ! »

Et Clairette qui regrettait de ne pas être l’araignée !…


CHAPITRE IX


Si Clairette avait été l’araignée, après avoir entendu porter sur elle ce jugement sévère, elle eût assisté à un spectacle fait pour la surprendre.

Dès qu’Hervé fut sorti, grand’mère demanda l’échelle double, y grimpa elle-même, enleva les deux nœuds de crêpe et s’en alla les brûler dans le fourneau de la cuisine.

Mais, comme elle avait de très mauvais yeux, elle n’aperçut ni l’araignée ni la toile d’icelle, qui continua de s’étendre en lignes géométriques.

Ce n’était point aux morts que s’adressaient les nœuds de deuil… C’étaient, au contraire, les morts chéris que grand’mère avait associés à son deuil des vivants… Aujourd’hui