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Roger vit tout cela et… passa.

Il s’embusqua derrière la haie, à peu de distance des pauvres affamés, et attendit le retour des corbeaux, qui s’étaient envolés à son approche, malgré les précautions qu’il avait prises.

Ils n’avaient cependant pas à craindre la carabine de Roger, avec laquelle il était très difficile de les atteindre ; mais les corbeaux sont méfiants, et ils n’ont pas tort.

Il était là depuis quelques minutes, lorsque deux enfants passèrent aussi près des rouges-gorges. L’aîné ; un garçon, paraissait avoir neuf ou dix ans, et la petite fille qui l’accompagnait était presque aussi grande que lui.

Roger reconnut les enfants d’un ouvrier qui travaillait souvent chez son grand-père, Jean et Françoise Martin. Ils portaient chacun un fagot de bois mort qui devait peser beaucoup sur leurs faibles épaules et, revenant des taillis de M. de Vercourt, se rendaient à la chaumière de leurs parents située au sommet d’une colline qui se détachait à peine sur le ciel blanc de ce rigoureux janvier.

Les enfants remarquèrent la détresse des oiseaux et… s’arrêtèrent.

« Oh ! Jean ! dit Françoise, les yeux pleins de larmes, comme ils doivent avoir froid ! »

Elle jeta aussitôt son fagot sur la neige et, se baissant, elle ajouta :

« Aide-moi à les mettre dans mon tablier ; nous tâcherons de les sauver. »

Avant même que sa sœur eût fini de parler, le garçonnet s’était débarrassé de son fardeau et, ayant pris un oiseau dans chaque main, essayait de réchauffer de son haleine leurs membres engourdis.

« C’est bien heureux pour les pauvres bêtes que nous soyons passés par là ! s’écria Jean. Nous allons les emporter et bien les soigner. Le plus pressé, c’est de les faire manger.

— Tu as raison, frérot, répondit Françoise, mais avant il faudra les ranimer en les mettant dans un grand pot rempli de plume, comme je l’ai vu faire « à la mère » pour guérir de petits poulets malades.

— Assez causé, bavarde, interrompit Jean. On doit nous attendre à la maison ; le grand-père se tourmente quand nous restons longtemps au bois, croyant qu’il y a encore des loups, comme du temps de sa jeunesse.

— Le grand-père a donc été jeune aussi ? s’exclama Françoise en riant.

— Eh ! nigaude, il a été jeune comme nous serons vieux un jour, » répondit Jean. Mais, Françoise riant plus fort, il pensa avec raison que sa sœur se moquait de lui.

Bah ! ce n’était pas la première fois, et Jean n’en continua pas moins d’expliquer sérieusement son idée.

« Quand nous aurons les cheveux blancs, nous dirons à nos petits-enfants que nous avons fait un sauvetage, pas comme celui qu’on a raconté hier à l’école, mais un sauvetage tout de même, quoique ce soit plus facile de sauver des oiseaux qui meurent dans la neige que des pêcheurs dans une tempête. Je te lirai ça ce soir, tu verras si c’est beau ! »

Dans sa naïveté, Jean croyait tout simple de secourir les pauvres créatures. Mais… il fallait y penser. D’ailleurs, c’était Françoise qui en avait eu l’idée ; lui ne se reconnaissait aucun mérite.

Tout en parlant, Jean avait aidé sa sœur à mettre les rouges-gorges dans son tablier, y compris celui qui était perché sur une aubépine et ne pouvait plus voler.

« Fais bien attention à tes nourrissons, reprit Jean, et donne-moi ton fagot, nous sommes presque arrivés. »

Quand les enfants passèrent près de Roger qu’ils n’avaient pas vu, Françoise demanda :

« Crois-tu que nous aurons des sous dans nos sabots, demain ? Si le père Janvier m’en envoie par la cheminée, comme l’année dernière, j’achèterai du tabac au grand-père. Ça lui fera bien plaisir, et puis… il nous racontera des histoires de guerre ; tu sais bien, il