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JULES VERNE

dont le plus haut s’élève à quatorze cents pieds au-dessus du niveau de la mer.

Les jeunes excursionnistes voulurent monter à la cime de ce morne, et les fatigues de cette ascension furent largement payées par la beauté du spectacle qui s’offrit à leurs regards. La vue s’étendait jusqu’à Saint-Jean, semblable à un gros poisson flottant à la surface de la mer antiliane, au milieu des îlots qui l’environnent, Hans Lellik, Loango, Buek, Saba, Savana et, au delà, la plaine liquide, resplendissant sous les rayons solaires.

Au total, Saint-Thomas n’est qu’une île de quatre-vingt-six kilomètres carrés, soit, ainsi que le fit observer Louis Clodion, cent soixante-douze fois à peine la superficie du Champ de Mars de Paris.

Après les trois jours réglementaires à la villa Harboe, les passagers rejoignirent l’Alert, où tout était prêt pour le départ. M. et Mme  Harboe les reconduisirent à bord, où ils reçurent les remerciements de M. Patterson pour leur aimable hospitalité, et les deux frères s’embrassèrent une dernière fois.

Dès le soir du 28 juillet, le trois-mâts leva l’ancre, éventa ses voiles, et, profitant de la brise de nord-est, sortit du port pour mettre le cap au sud-ouest sur l’île de Sainte-Croix, où devait se faire la seconde relâche.

Les soixante milles qui séparent les deux îles furent franchis en trente-six heures.

Lorsque, comme cela a été mentionné, les colons, trop à l’étroit dans Saint-Thomas et dans Saint-Jean, voulurent s’établir à Sainte-Croix, dont l’étendue est de deux cent dix-huit kilomètres carrés, ils trouvèrent cette île aux mains des flibustiers anglais qui s’y étaient fixés depuis le milieu du xviie siècle. De là nécessité d’entrer en lutte, combats multiples et sanglants qui tournèrent à l’avantage des aventuriers de la Grande-Bretagne. Mais, depuis leur arrivée, ces gens, plutôt pirates que colons, ne s’adonnant qu’à la course en ces parages, avaient négligé toute culture dans l’île.

C’est en 1750 que les Espagnols parvinrent à s’emparer de Sainte-Croix, après avoir chassé les Anglais.

Ils ne devaient pas la conserver, et, quelques mois après, la faible garnison qui défendait l’île fut contrainte de se retirer devant un corps français.

C’est à cette époque que Sainte-Croix fut livrée à la culture ; toutefois, avant de la défricher, il fallut incendier les épaisses forêts de l’intérieur, incendies qui dégagèrent et enrichirent le sol.

Grâce à ces travaux, continués depuis un siècle et demi, l’Alert relâcha dans une île remarquablement cultivée et de grand rapport agricole.

Il va sans dire qu’il ne s’y rencontrait plus ni les Caraïbes qui la peuplaient avant la découverte, ni les Anglais qui l’occupèrent au début, ni les Espagnols qui leur succédèrent, ni les Français qui firent les premières tentatives de colonisation. Au milieu du xviie siècle, on n’y aurait même plus trouvé personne. Privés de trafic et des bénéfices de la contrebande, les colons s’étaient décidés à abandonner l’île. Sainte-Croix resta inhabitée pendant trente-sept ans, jusqu’en 1733. La France la vendit alors au Danemark pour la somme de sept cent cinquante mille livres, et, depuis cette date, elle est colonie danoise.

Lorsque l’Alert fut en vue de l’île, Harry Markel manœuvra de manière à gagner le port de Barnes, sa capitale, ou, en langue danoise, Christiantoed. Il est situé au fond d’un petit golfe, sur la côte septentrionale. Quant à la seconde ville de Sainte-Croix, Frederichstoed, qui fut jadis incendiée par les noirs en pleine révolte, elle a été bâtie sur la côte occidentale.

C’est à Frederichstoed qu’était né Axel Wickborn, le deuxième lauréat du concours. À cette époque, il n’y avait plus aucun parent. Depuis une douzaine d’années, sa famille, après avoir vendu les propriétés qu’elle possédait dans l’île, habitait Copenhague.