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FILLE UNIQUE

CHAPITRE IX (Suite.)

Conscient de sa mission, ce brave petit cœur défendait Claire, lui soufflant une soif d’affection qui l’obligeait à donner pour recevoir…

Et, dans le soin qu’elle avait pris de s’attifer, il y avait le souci de ne point produire une mauvaise impression sur cette jeune femme que René appelait d’un ton de vénération tendre « ma sœur Thérèse ».

Ce serait si bon de s’en faire une amie ! Avoir quelqu’un de jeune, de gai, de raisonnable en même temps, avec qui causer ! un rêve !

Elle ne devait pas s’amuser beaucoup, à Vielprat, Mme  Murcy. Pour une Parisienne, vivre à la campagne tout un été, privée de fêtes, de théâtre, entourée d’un tas de mioches : les deux siens, les deux du logis, plus son jeune frère… cela était pour la prédisposer à bien accueillir les avances d’une personne en rapport d’âge avec elle.

Claire se promit d’être très aimable. Elle s’entraîna à cet exercice en se montrant pleine de gaieté au déjeuner.

« Et ma lettre ? » demanda grand’mère, la voyant enfin paraître.

Il y avait un peu de reproche et pas mal d’ironie dans la voix de l’aïeule, tandis qu’elle posait cette question.

Cela n’échappa point à Claire. Elle repartit tout franchement en dépliant sa serviette :

« J’étais fâchée, mais je ne le suis plus. Nous écrirons après déjeuner, si tu veux. »

Puis, riant :

« Je crois qu’en retardant ta correspondance, je me suis joué un mauvais tour.

— Possible… possible…

— Alors, grand’mère, puisque je fais amende honorable, tu pourrais bien, toi, me consentir une petite avance… Rien que me dire par où a passé le baron hier.

— Il a passé par le chemin que toi-même avais pris soin de lui préparer. Ah ! curieuse !… curieuse !…

— On le serait à moins. Cette maison a un parfum de mystère !… »

Son petit nez spirituel humait l’air.

« Tiens, tiens, tiens ! Elle n’a pas seulement un parfum de mystère, la maison, elle sent l’héliotrope… Voilà qui en dit long sur l’emploi de ta matinée, grand’mère. »

Cette petite guerre de taquinerie ne cessa point de tout le déjeuner.

Aussitôt le repas achevé, Mme  Andelot, se sentant la tête alourdie, se réinstalla dans sa bergère et sommeilla.

Durant cet assoupissement, qu’elle espérait devoir être court, Claire disposa la table, y apporta le papier, la plume et l’encre dont elle allait avoir besoin.

Puis, elle s’assit pour attendre le réveil de sa grand’mère, impatiente d’avoir à accomplir sa tâche, maintenant.

Il était alors près d’une heure.

Un long temps s’écoula sans que la dormeuse fit un mouvement. Claire donna plus de jour, espérant que la lumière la réveillerait. Elle tremblait que leurs voisins ne se présentassent avant que la lettre ne fut écrite. Car, à force d’y réfléchir, elle en venait à tenir pour certain que cette lettre lui livrerait le mot de l’énigme ; et elle eût tant voulu le connaître avant la visite d’Hervé !

Enfin, grand’mère ouvrit les yeux, regarda sa petite-fille, et, remarquant sur la table les préparatifs faits à son intention, se mit à sourire :

« Cinq minutes pour reprendre mes esprits, et nous commençons », dit-elle.

Mais, bien avant les cinq minutes écoulées, un bruit de voix, de joyeux cris d’enfants leur parvenaient par la fenêtre ouverte.