Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/354

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— Alors, c’est fini… murmura Mme Massey, dont les doux yeux un peu voilés s’embrumèrent de larmes. Adieu le repos que nous pensions avoir enfin conquis après tant de tribulations !… Adieu la douce quiétude de ce port tant souhaité… C’est un nouveau gouffre, béant sur une mer plus terrible et plus orageuse que les flots !… Je pensais avoir dompté l’infortune. Il m’est réservé, sans doute, de voir, de ces yeux tout exprès rendus à la lumière, mes deux fils, précipités du haut des airs, s’écraser à mes pieds sur le sol !…

— Allons, allons, chère Marie, ne nous abandonnons pas ainsi aux idées noires ! s’écria M. Massey, terrifié lui aussi de ce tableau lugubre, mais résolu du moins à n’en pas convenir. Il faut savoir regarder le meilleur côté des choses, que diable !… L’aviateur n’est pas construit encore, tant s’en faut… Quand il le sera, s’il l’est jamais, nous pouvons être certains qu’Henri et l’ami Wéber seront les premiers à ne s’y embarquer qu’à bon escient et agiront avec toute la prudence requise… Ils n’ont aucune envie de se rompre le cou, évidemment… Et la question de sécurité mise à part, croyez-vous qu’ils se soucieraient tous deux d’aboutir à un fiasco ?… Je connais mes gaillards… S’ils partent, c’est qu’ils seront sûrs du succès !

— Nous connaissons tous leur compétence, ajouta le Dr  Lhomond. Et, pour mon compte, je n’hésiterai nullement à m’engager avec eux, s’ils estiment leur machine viable et pratique, pas plus que je n’hésiterais à m’embarquer pour Trouville sur le bateau du Havre… Il est d’ailleurs beaucoup trop tôt pour s’en inquiéter. Attendons de voir, pour juger… Nous ne savons pas le premier mot de ce que doit être ce fameux oiseau mécanique. Peut-être après avoir étudié et compris le plan, — si l’on veut bien nous admettre à ce régal scientifique, — deviendrons-nous tous de fervents adeptes de l’aviation, vous la première, chère amie… »

Mme Massey secoua douloureusement la tête, tandis que sa fille et Lina s’efforçaient de lui rendre courage, encore qu’elles eussent pâli, elles aussi, devant la redoutable perspective qui s’ouvrait.

Quant à Henri, il se levait déjà, son repas dépêché.

« Si vous voulez, les uns ou les autres, venir au laboratoire, je vous montrerai tout… Vous verrez, c’est extraordinairement simple.

— Il ne s’agissait que d’y penser ! fit Gérard.

— Ou plutôt, non ! reprit Henri. Ne perdons pas de temps. Wéber se chargera des démonstrations, ce soir après dîner. L’oiseau artificiel est son affaire, après tout !… Moi, j’ai à m’occuper sans délai de faire établir le hangar clos… Combien de mètres à votre estime ? demanda-t-il en ouvrant la porte-fenêtre du jardin et passant sur la terrasse.

— Trente mètres de large sur quarante de long suffiront, avec un appentis de trois mètres carrés pour la forge », répondit M. Wéber.

Le jeune ingénieur mesurait déjà le terrain, à grandes enjambées.

« Trente-neuf… quarante…, disait-il en comptant. Parfait !… Nous n’occuperons même pas toute la terrasse. Il restera treize mètres de soleil devant la salle à manger. C’est grandement suffisant pour l’hygiène des gens de terre. Et, au surplus, nous ne serons pas longtemps à l’ouvrage, pas vrai, Wéber ?… Cinq à six semaines peut-être… Voyons, procédons à la division du travail. Je vais mettre tes charpentiers à l’œuvre et courir d’un coup d’automobile chez Cabrougnat, vous savez bien, ce brave démolisseur, boulevard Barbes… Il a toujours un choix de « fermes » toutes prêtes à poser, et je gage qu’en deux jours il nous campe notre hangar… De chez lui j’irai aux Forges et Chantiers d’Aubervilliers, commander les tubes d’acier. Combien de mètres en tout !

— Quatre-vingts pour la carcasse, autant pour les ailes, du diamètre deux, disons cent