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imbriqués, figurant le cou, renfermait la dynamo et le siège du pilote, derrière deux hublots de cristal, pareils à deux yeux. À l’arrière, une queue d’aronde formant gouvernail et mobile sur son axe, couvrait une hélice légère en aluminium. Aux deux omoplates s’adaptaient les ailes, dessinées par de longs doigts conjugués et pourvus de pennes. L’ensemble pouvait avoir vingt-cinq mètres, de l’extrémité du bec à la pointe de la queue, sur cinq mètres de large au repos. Mais les ailes déployées devaient étendre l’envergure totale à trente-huit mètres. La tête, relativement grosse, en raison des organes multiples qu’elle était destinée à loger, ne mesurait pas moins de quinze mètres cubes ; la cavité thoracique en comptait cent dix. Ces chambres prenaient jour en haut, en bas et sur les côtés par des fenêtres garnies de grilles.

Il ne s’agissait plus, désormais, que de compléter l’habillage de ce squelette métallique par un tégument externe de toile imperméable et d’y mettre en place les organes moteurs, bielles articulées, courroies de transmission, bras de levier et manettes. Tel quel, il présentait déjà une physionomie robuste, impressionnante et bien personnelle.

« Comment l’appellerez-vous ? demanda Gérard, de jour en jour plus épris du chef-d’œuvre.

— J’ai pensé à Albatros, en raison de l’ampleur de ses ailes, répondit Henri.

— Ce serait à la fois inexact et injuste, objecta M. Wéber ; l’albatros naturel n’est qu’un moineau franc auprès de nous. Le modèle que j’ai eu en vue par l’imagination, et cherché à réaliser, autant que j’ai pu le concevoir, car je n’en connais que la tête, — elle est au Jardin des Plantes, à côté de la baleine, — c’est l’oiseau géant des Mille et une Nuits, le Roc de Madagascar, dontles œufs fossiles ont deux mètres de haut, l’épiornis, pour lui donner son nom moderne et scientifique.

— L’épiornis, c’est-à-dire le sur-oiseau, beaucoup plus réel que le sur-homme de Nietsche, dit Henri en approuvant de la tête… Eh bien, voilà le nom que nous cherchons. Appelons notre navire aérien l’Epiornis, et surtout lançons-le sous huitaine !…

— Je n’aime pas ce nom qui ne dirait rien aux profanes… Parlons français, voulez-vous ?… Notre oiseau artificiel est certes un géant en son genre. Il va s’élever dans les airs et l’azur sera son domaine… Que ce soit le Géant de l’azur ! »


II

Le capitaine Renaud. — Nicole Mauvilain.


À son retour en Europe, M. Massev avait renoué connaissance avec un ancien camarade de lycée, le capitaine Renaud, brave soldat sans peur et sans reproche, sinon doué d’un génie transcendant, que toute la famille aimait pour son âme simple et loyale. Cet honnête retraité s’ennuyait ferme, au moment où nos exilés reprenaient leur ancienne habitation de Passy. Comme beaucoup de ses pareils, il découvrait que les loisirs, la liberté tant souhaitée aux heures de surmenage ou de mécontentement, ne lui apportaient pas les satisfactions attendues. Il regrettait la vie active, l’existence large, les vastes champs de l’Algérie où il avait fait presque toute sa carrière ; il étouffait dans son petit appartement de garçon du boulevard Gouvion-Saint-Cyr, et nombreuses furent les doléances qu’il versa dans l’oreille de cet ami qu’il avait toujours considéré, avec raison, comme un conseiller sûr et avisé.

« Pourquoi ne prendriez-vous pas du service chez les Boers ? lui dit un jour M. Massey. Vous êtes célibataire ; solide et vigoureux comme à trente ans ; vous connaissez le métier militaire comme pas un ; vous pour-