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contre les commentaires désobligeants, si les premiers essais indiquaient la nécessité de perfectionnements successifs. Plus que jamais, le secret était indispensable, maintenant que l’expédition projetée prenait un caractère politique et militaire, avec la délivrance de la jeune captive pour objectif direct. Aussi les derniers travaux furent-ils poussés avec un redoublement de précautions.

Martine prit soin d’écarter visites et fournisseurs en annonçant une absence momentanée de ses maîtres, et allant elle-même aux provisions loin du quartier. Elle rapportait en voiture les caisses de vivres, vêtements de rechange et denrées de tout ordre qui venaient peu à peu s’arrimer dans la soute du navire aérien. Boites de conserves, pain grillé, biscuits, légumes frais, eau douce et médicaments s’étageaient en bon ordre, par casiers distincts, de manière à se retrouver à point nommé sous la main des voyageurs. Au-dessus de ce magasin, où la prévoyance de M. Wéber avait réuni, d’autre part, tout ce qui pouvait être utile en cas d’avaries et de réparations urgentes, une plate-forme spacieuse en bois léger servait de cabine aux passagers, avec literie complète, sièges en rotin, tablettes pliantes, fontaine à glace, fourneau à alcool et buffet à vaisselle. La toilette et la baignoire de caoutchouc se trouvaient à l’arrière.

La boite crânienne de l’oiseau mécanique destinée à la direction était semblablement aménagée au-dessous du moteur électrique. Un petit escalier de filigrane y donnait accès, dans l’épaisseur du cou, contre l’arbre de couche, qui se prolongeait en épine dorsale, flanqué, au niveau des omoplates, des organes d’orientation des ailes, tels que les réglaient les doubles et triples manettes placées, en guise de cerveau, à la disposition du pilote.

Conformément aux plans minutieux de M. Wéber, tout avait été prévu, réglé d’avance de manière à laisser aux passagers le plus d’espace disponible à l’intérieur de la machine volante, avec la plus grande somme possible de confort, de légèreté spécifique et de puissance motrice.

Chacun des quatre membres de l’oiseau artificiel, — ailes et pattes élastiques, — était d’ailleurs indépendant, ce qui permettait d’en vérifier séparément la fonction : les dimensions du hangar avaient été arrêtées en conséquence.

Or, les essais préliminaires étaient si satisfaisants, qu’il ne pouvait subsister aucun doute sur le succès définitif. À moins d’un accident tout à fait invraisemblable, l’Epiornis, pesant à peine six mille kilogrammes, — armature, outillage, passagers et vivres compris, — et animé d’une force de cent sept chevaux-vapeur, devait s’enlever d’un bond, déployer ses ailes et progresser aussitôt, avec une vitesse qu’il était impossible d’évaluer exactement, mais qui pourrait selon toute apparence atteindre de deux à trois cents kilomètres à l’heure, dans une atmosphère calme, et beaucoup plus, sans doute, avec une forte brise en poupe.

Aussi n’était-ce pas de très bon gré que le docteur Lhomond s’était résigné à abandonner sa place au brave gabier Le Guen, dont les connaissances pratiques en matière de manœuvre devaient être plus utiles que les siennes à des voyageurs bien portants. Il aurait, certes, pu partir cinquième, à la rigueur ; mais il fallait réserver une part de cabine à Nicole, puisqu’on allait la chercher, et le chiffre de six passagers aurait décidément excédé les sages prévisions de l’architecte naval.

L’excellent docteur, qui s’était flatté d’ajouter une triomphale expédition à celles qu’il comptait déjà à son actif, voyait donc lui échapper cet espoir. Il prenait la chose en philosophe, à son ordinaire, et se contentait de menacer plaisamment M. Wéber ou Gérard de les rendre malades au dernier moment, afin de les supplanter. Ces innocentes facéties