et, la veille du départ, il disait encore à M. Patterson :
« Ce qui m’enrage, c’est que le gouvernement français semble avoir des préférences pour cette rivale !
— Quelles sont donc les faveurs qu’il lui réserve ?… demanda M. Patterson.
— Eh ! entre autres, répondit M. Barrand, sans chercher à dissimuler son mécontentement, n’a-t-il point choisi Fort-de-France pour tête de ligne de ses paquebots transatlantiques ? … Est-ce que la Pointe-à-Pitre n’était pas naturellement indiquée pour devenir leur port d’arrivée ?…
— Assurément, répondit M. Patterson, et je pense que les Guadeloupiens auront le droit de réclamer…
— Réclamer… s’écria le planteur, et qui se chargerait de leurs réclamations ?…
— N’avez-vous donc pas des représentants au Parlement français ?…
— Un sénateur… deux députés… répondit M. Barrand, et ils font tout ce qu’ils peuvent pour défendre les intérêts de la colonie !…
— C’est leur devoir », répondit le mentor.
Dans la soirée du 21 août, M. Barrand reconduisit ses hôtes à bord de l’Alert. Puis, après avoir embrassé une dernière fois son neveu et serré la main à tous ses camarades :
« Voyons, dit-il, au lieu d’aller à la Martinique, ne feriez-vous pas mieux de passer huit jours encore à la Guadeloupe ?…
— Et mon île ?… s’écria Tony Renault.
— Ton île, mon garçon, elle ne s’en ira pas à la dérive, et tu la retrouverais à un autre voyage !
— Monsieur Barrand, objecta M. Patterson, vos offres nous touchent infiniment… et nous vous remercions de grand cœur… Mais il faut se conformer au programme de Mrs Kethlen Seymour…
— Soit !… allez donc à la Martinique, mes jeunes amis ! répondit M. Barrand. Et surtout prenez garde aux serpents !… Il y en a par milliers, et ce sont les Anglais, dit-on, qui les ont importés avant de rendre l’île à la France…
— Est-il possible ?… répondit le mentor. Non ! jamais je ne croirai à semblable méchanceté de la part de mes compatriotes…
— C’est de l’histoire, monsieur Patterson, c’est de l’histoire !… répliqua le planteur. Et si vous vous laissez mordre là-bas, ce sera du moins par un serpent britannique…
— Britannique ou non, déclara Louis Ciodion, on s’en défiera, mon oncle !
— À propos, demanda M. Barrand, au moment où il allait quitter le bord, avez-vous un bon capitaine ?…
— De premier ordre, répondit M. Patterson, et dont nous avons tous lieu d’être satisfaits… Mrs Kethlen Seymour n’aurait pas pu faire un meilleur choix…
— Tant pis, répondit très sérieusement M. Barrand en hochant la tête.
— Tant pis ?… Et pourquoi, de grâce ?…
— Parce que si vous aviez eu un mauvais capitaine, peut-être l’Alert se fût-il mis à la côte en sortant du port, et j’aurais eu la bonne chance de vous garder à Rose-Croix pendant quelques semaines ! »
(La suite prochainement.)
I
Les réverbères vacillaient sous les brusques rafales qui balayaient la rue déserte ; quelques flocons légers tourbillonnaient, pareils à ces plumes d’oie que le vent lutine dans les cours de ferme.
Demain, Limoges s’éveillerait sous un lin-