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tant par le guide que par les montures, que, bien avant l’expiration du temps assigné, c’est-à-dire vers six heures du soir, on atteignait Modderfontein.

Aviser la première auberge venue, y laisser les bêtes avec instruction à Sakkalo d’attendre de nouveaux ordres et s’élancer vers le camp, tout cela fut l’œuvre de quelques minutes pour les deux frères. Dans leur légitime impatience d’obtenir des nouvelles de la prisonnière, de lui faire connaître leur présence, il leur avait semblé que la principale, la seule chose à faire était d’aller droit à l’une des portes du camp, d’en demander l’accès ; ou bien, si la chose n’était pas praticable, de prier les gardiens de transmettre à Mlle Mauvilain un simple message verbal, lui disant que les amis de sa famille étaient informés du lieu de sa captivité et lui envoyaient leurs respectueuses salutations…

Hélas ! ils étaient loin de compte. De gardiens réguliers, d’administration organisée, on n’en voyait pas trace autour de la palissade qui marquait les limites du camp où des milliers d’êtres humains, étroitement entassés, agonisaient lentement, souffraient de toutes les privations et de tous les maux. De loin en loin, une sorte de portail grossier, orné d’un auvent, marquait une des entrées de l’enceinte ; à chacune de ces portes, gardée par un piquet de soldats, ils reçurent la même réponse : Impossible !

Impossible de pénétrer dans le camp. Impossible de communiquer de quelque manière que ce fût avec les prisonniers… Impossible de leur faire entendre aucune nouvelle du dehors… Impossible même de dire si la personne qu’ils cherchaient était au nombre des vivants !

Même en certains lieux on commença à les regarder de travers et à parler d’espionnage…

« De la prudence ! fit alors Gérard, entraînant loin du poste son frère exaspéré. À aucun prix il ne faut nous laisser coffrer !… Ce serait le désastre irréparable. De la patience, Henri, je t’en conjure !… Eh oui, c’est difficile ! Si tu crois que la main ne me démange pas de gifler quelqu’un de ces maroufles ! Mais voyons, que pouvons-nous faire ? La force est hors de question ; nous n’obtiendrons rien par persuasion ; il faut ruser ! Il doit y avoir, et il y a moyen d’entrer, quoi qu’ils en disent… Ils vont répétant avec obstination : « Impossible, impossible ! » Eh bien, moi qui te parle, j’ai déjà vu pénétrer dans le camp, par la porte sud, quelqu’un qui n’était ni officier, ni soldat, ni fonctionnaire, j’en suis sûr.

— Qui était-ce ? que veux-tu dire ?

— Une simple revendeuse de fruits, poussant devant elle sa brouette. Elle est entrée comme dans du beurre. Ces brutes de sentinelles, qui faisaient tant les fendants, n’ont pas même examiné sa marchandise.

— C’est vrai. Je l’ai vue… Mais je n’avais pas noté le fait.

— Eh bien, si cette citoyenne peut entrer ainsi, c’est que la loi rigoureuse qu’on nous oppose n’est qu’un mot : je m’en doutais !

— Oui. Mais qu’importe s’ils se butent à leur stupide consigne ? Gérard, je ne vois qu’un moyen, c’est d’escalader la clôture ; et c’est ce que je tenterai ce soir même !

— Faisons mieux. Usons de la clef d’or. Achetons une de ces brouettées de fruits, et poussons-la hardiment à l’intérieur.

— Certes, je ne demande pas mieux que d’essayer ; mais comment espérer qu’ils ne remarquent pas la substitution de personne ?…

— On se déguise ; on se grime.

— Tu espères te faire passer pour cette marchande ? demanda Henri, étonné. Elle était naine et quelque peu bossue.

— Non, je ne vais pas jusque-là. Mon espoir est de trouver autour du camp un vendeur d’un physique plus favorable à la substitution… »

Gérard avait vu du premier coup, selon son