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BOURSES DE VOYAGE

mort au cœur !… s’écria Mrs Patterson, qui commençait à envisager ce voyage sous une perspective effrayante.

— Non, madame Patterson, non ! Je veux uniquement me conduire avec sagesse et prudence. Je suis de ces hommes qui croient raisonnable de prendre leurs dernières dispositions avant de monter en railway, et, à plus forte raison, lorsqu’il s’agit de s’aventurer sur la plaine liquide des Océans. »

Tel était cet homme, et même se bornerait-il à ces dispositions testamentaires ? Sans doute, et qu’imaginer de plus ?… Quoi qu’il en soit, ce fut bien pour impressionner au dernier degré Mrs Patterson, la pensée que son mari allait régler ces questions d’héritage, si délicates toujours, puis la vision des périls d’une traversée de l’Atlantique, les collisions, les échouages, les naufrages, les abandons sur quelque île à la merci des cannibales…

Alors M. Patterson sentit qu’il avait peut-être été trop loin, et il employa ses phrases les mieux arrondies à rassurer Mrs Patterson, cette moitié de lui-même, ou plutôt, l’un des termes de cette vie en partie double qui s’appelle le mariage. Enfin il parvint à lui démontrer qu’un excès de précautions ne pouvait jamais avoir de conséquences nuisibles ou regrettables, et que se garantir contre toute éventualité, ce n’était pas dire un éternel adieu aux plaisirs de la vie…

« Cet æternum vale, ajouta-t-il, qu’Ovide met dans la bouche d’Orphée, lorsqu’il perdit pour la seconde fois sa chère Eurydice ! »

Non ! Mrs Patterson ne perdrait pas M. Patterson, pas même une première fois. Mais cet homme minutieux ne s’en mettrait pas moins en règle. Il n’abandonnerait pas cette idée de faire son testament. Le jour même, il se rendrait chez un notaire, et l’acte serait rédigé conformément à la loi, de manière qu’il ne donnât lieu, en cas qu’il fût procédé à son ouverture, à aucune interprétation douteuse.

Après Cela, on s’imaginera assurément que M. Patterson avait pris toutes les précautions possibles, si la fatalité voulait que l’Alert se perdit corps et biens en plein Océan, et que l’on dût renoncer à jamais avoir de nouvelles de son équipage et de ses passagers.

Tel n’était pas, sans doute, l’avis de M. Patterson, car il ajouta :

« Et puis, il y aura peut-être une autre mesure plus…

— Laquelle, Horatio ?… » demanda Mrs Patterson.

M. Patterson ne crut pas devoir parler d’une manière plus explicite en ce moment.

« Rien… rien… nous verrons !… » se contenta-t-il de répondre.

Et s’il ne voulut pas en dire davantage, c’était, on peut le croire, pour ne point effrayer de nouveau Mrs Patterson. Et peut-être n’eût-il pas réussi à lui faire adopter son idée, même en l’appuyant de quelque autre citation latine, et il ne les lui ménageait guère d’habitude.

Enfin, pour terminer cet entretien, il conclut en ces termes :

« Et, maintenant, occupons-nous de ma valise et de mon carton à chapeau. »

Il est vrai, le départ ne devait pas s’effectuer avant cinq jours, mais ce qui est fait est fait et n’est plus à faire.

Bref, en ce qui concerne M. Patterson, comme aussi les jeunes lauréats, il ne fut désormais question que des préparatifs de voyage. D’ailleurs, si le départ de l’Alert était fixé au 30 juin, des cinq jours qui restaient il faudrait déduire vingt-quatre heures pour se rendre de Londres à Cork.

En effet, le railway transporterait d’abord les voyageurs à Bristol. Là, ils s’embarqueraient sur le steamer qui fait le service quotidien entre l’Angleterre et l’Irlande, ils descendraient la Savern, ils traverseraient le canal de Bristol, puis le canal de Saint-Georges, et débarqueraient à Queenstown, à l’entrée de la baie de Cork, sur la côte sud-ouest de