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occupé qu’il était à analyser la réflexion de sa cousine et surtout l’accent qu’elle y avait mis.

Il reprit, après une ou deux minutes d’un silence qui demeura inexpliqué :

« Je ne sais ce que pourra être celui de Mlle de Taugdal ; je ne la connais pas ; mais Yucca n’a rien fait de plus beau que le vôtre. »

Claire lui jeta un regard surpris :

« Vous ne la connaissez pas ? Est-ce possible ! une amie d’enfance de votre sœur.

— Elles s’étaient perdues de vue depuis le couvent et se sont retrouvées seulement il y a quelques mois. »

Il ajouta :

« Ma sœur doit me présenter, dès mon retour, à son cercle de relations ; elle tient beaucoup à me produire dans le monde.

— Il faut vous laisser faire… »

Puis, le voyant se disposer à préparer le thé :

« Non, non ; puisque vous partez demain, je tiens à vous prouver que j’ai profité de vos leçons. »

La bouilloire chantait devant le feu. Sur un guéridon, les tasses étaient prêtes, séparées par une corbeille de crêpes légères comme de la dentelle.

Claire fit le thé avec attention, le servit et s’assit en face de son cousin.

Grand’mère les regardait, accotée sur ses oreillers. Elle commençait de somnoler, la cérémonie de ce jour lui ayant occasionné un peu de fatigue. Et, de crainte de retarder son sommeil, les deux jeunes gens baissèrent la voix.

« Alors, dit Hervé, c’est entendu, je vous expédie un chien de montagne. Faites-le lâcher dans la cour, la nuit. Vous êtes vraiment trop isolées.

— Ce sera pour moi une compagnie en même temps qu’un gardien.

— Je vous enverrai aussi quelques modèles d’aquarelles ; mais, dès qu’une fleur apparaîtra, peignez d’après nature. Vous y trouverez un intérêt beaucoup plus vif.

— Quand nous reverrons-nous, à présent ? Grand’mère s’en préoccupe.

— Je dois accompagner ma sœur, puisque son mari n’est pas libre et que, d’ailleurs, je m’y suis engagé ; elle a projeté un grand voyage avec les Taugdal et d’autres amis ; on doit descendre vers le Midi, à petites journées, en automobile, et revenir par l’Est.

« Et voici ce qu’à part moi j’ai combiné.

« À Lyon, je laisse filer la caravane, je viens ici passer deux ou trois jours, et je rejoins à un point convenu.

— Où seront vos enfants à ce moment-là ?

— Ici. C’est chose entendue avec Yucca et sa femme.

— Pauvres petits ! vous les quittez souvent. Ils seront entre bonnes mains, il est vrai.

— Et puis, ils vous auront, ajouta Hervé en souriant. Et, quand ils ont tante Claire !…

Mlle Guyonne sera du voyage ? s’informa la jeune fille après avoir un peu hésité.

— C’est justement parce qu’elle en sera que ma sœur m’a arraché la promesse de l’accompagner », répondit Hervé très simplement.

Un silence suivit… un long silence… Puis, soudain, Claire se leva, et, montrant d’un signe de tête grand’mère dont les yeux se fermaient :

« Bonne nuit, mon cousin », dit-elle en tendant la main à Hervé sans le regarder. Et elle sortit.

De Kosen resta au coin du feu à songer. Il lui semblait qu’en quittant sa place, il ferait s’envoler les pensées qui l’occupaient. Déjà, elles flottaient si incertaines !… Un vrai voyage de découvertes en son cœur surpris… Enfin, à son tour, sur la pointe du pied, il regagna sa chambre.

Tout y parlait de départ. Sa malle, grande ouverte, était à demi pleine. Germain avait déjà réuni les objets éparpillés à travers la maison.

« Voilà de calmes journées, songeait Hervé.