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taient seulement devant ceux qui se portaient au secours des victimes.

Mme Andelot était accourue elle aussi. En apercevant son mari, elle eut un geste de stupeur.

« Où vas-tu ?

— Je vais voir… À tout à l’heure. Rentre, ma chère amie. »

Ils se serrèrent la main.

Émilienne regarda son mari disparaître dans les profondeurs redoutables, et, le cœur serré d’angoisse, reprit le chemin de sa maison.

Victor Andelot était dans le vrai en le lui conseillant. Ne parlant point le russe, elle eût été inapte à consoler les autres, tandis qu’il lui était toujours possible de prier.

« À tout à l’heure », avait dit le père de Claire dans la dernière étreinte. Mme Andelot l’attendait encore après un jour et demi écoulé. Et, tenue heure par heure au courant de ce qui se passait, elle n’espérait plus en aucun secours humain ; se disant qu’au point où en étaient les choses, un miracle seul pouvait les sauver tous.

L’éboulement primitif s’était produit sur un très petit espace. Des poutres rongées par l’humidité avaient fléchi sous une brusque poussée. Il y avait eu là un manque de surveillance. La moisissure des pièces de bois aurait dû faire prévoir que l’eau était proche, désagrégerait peu à peu les masses pyriteuses, derrière ce fragile rempart de madriers.

Des étais avaient été ajustés aussitôt. Tandis que l’on consolidait ces supports, les ouvriers surpris par l’éboulement travaillaient de leur côté ; mais ils travaillaient avec trop de hâte, saisis qu’ils étaient par l’horreur de leur situation. Tout sang-froid les avait abandonnés.

Andelot s’en rendit compte immédiatement.

De concert avec Yolchow, qui dirigeait l’équipe des sauveteurs, il tenta de décider les malheureux à interrompre un travail qui ne pouvait que compromettre leurs chances de salut.

Tandis qu’ils parlementaient, à l’abri sous la partie nouvellement étayée, les affolés, résistant aux objurgations des deux ingénieurs, s’acharnaient à leur imprudente besogne.

C’était alors qu’un second éboulement avait eu lieu en avant du premier.

Avertie par un craquement des bois du plafond, l’équipe put se sauver. Mais Andelot et Volchow, résolus à fuir les derniers, n’en eurent point le temps.

Leur position était d’autant plus critique qu’Andelot, atteint aux jambes par un madrier, avait été blessé grièvement.

Combien d’heures, de jours peut-être, s’écouleraient avant qu’un passage ne leur fût ouvert ?

Ils se jugèrent perdus.

Les premiers ensevelis répondaient à leurs appels, mais non pas l’équipe de sauvetage ; donc la masse qui venait de s’écrouler était énorme. Qui sait si elle n’avait pas fait des victimes ?

Épouvantés par le résultat de leur tentative imprudente, les séquestrés ne bougeaient plus.

« Je vais leur conseiller de se remettre à l’ouvrage, dit Volchow à Andelot, que la souffrance avait un moment abattu ; nous ne risquons plus rien ; le mal est fait.

— Vous oubliez que n’ayant pas les bois nécessaires à consolider la voûte, ils ne pourront empêcher d’autres masses de tomber à mesure qu’on déblaiera. Il leur faut procéder lentement, sur un très petit espace, le long des madriers, et ne creuser qu’un couloir où se puisse glisser un homme à plat ventre. »

Tout le jour, les malheureux avaient travaillé, se conformant aux instructions d’Andelot. Vers le soir, l’étroit tunnel était terminé et les deux ingénieurs se glissaient auprès des cinquante hommes à demi fous de peur, auxquels leur présence rendrait sans doute quelque courage.

Et maintenant, impuissants à se sauver