Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/539

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« Ne soyez pas étonnée que je vous embrasse, ma chérie, dit l’étranger ; j’ai une petite-fille tout à fait de votre âge, et j’aime beaucoup les enfants.

— Je suis très contente de vous rencontrer, répliqua Doris, et je suis sûre que maman est enchantée d’avoir quelqu’un à qui causer. »

Le vieux monsieur paraissait radieux.

« Quelle charmante enfant ! » murmura-t-il. Puis, se tournant vers la mère, il reprit la conversation que l’entrée de la fillette avait interrompue :

« Oui, madame Pôle, mon client est un original, mais il est bon, et j’espère que vous accéderez à sa demande.

— Vraiment, monsieur Harrison, je n’ai aucune raison pour le faire. Mon petit garçon est en classe toute la journée et il travaille bien. Pourquoi interrompre ses études au milieu de l’année ? Pour plaire à un vieux monsieur qui se met dans la tête d’avoir chez lui un jeune compagnon ?

— C’est qu’il avait une grande affection pour son cousin, votre défunt mari. J’ai appris avec regret que vous aviez subi des pertes d’argent, aussi ai-je pensé… ai-je osé espérer… balbutia le vieux monsieur en devenant très rouge.

— Si vous croyez que M. Grimshaw connaît ma pauvreté et qu’il veuille faire quelque chose pour Jock, n’hésitez pas à me le dire. Son concours procurera à mes enfants des avantages que ma situation me contraint à leur refuser.

— Puisque vous acceptez mon avis, eh bien, confiez-moi votre garçon, répliqua M. Harrison ; mon client désire vivement le voir. Voici ses dernières recommandations : « Ramenez avec vous le fils de Dick Pôle et ne tardez pas ! » Il était bouleversé en apprenant que le fils de son cousin, après avoir quitté le collège, était placé dans une petite école. S’il le prend en affection, je suis convaincu qu’il se chargera de son éducation.

— Je crains fort que Jock ne soit pas ce que l’on appelle un enfant attrayant, soupira Mme Pôle. Mieux eût valu que ce fût ma petite Doris qui eût excité l’intérêt du cousin.

M. Grimshaw espère trouver en votre fils quelque ressemblance avec votre mari, dit M. Harrison.

— Malheureusement pour nous, je n’en vois aucune. Il se moque de tout ; la mort de son père ne semble pas l’avoir attristé, tandis que Doris en a eu le cœur brisé. »

À ce moment, la porte s’ouvrit et Jock parut. Il ne ressemblait nullement à sa sœur. Maigre et grand pour son âge, il laissait deviner un tempérament robuste. Sa figure, à l’air déterminé, révélait un caractère résolu. En entrant, il avait entendu prononcer son nom, et son expression restait défiante.

— Avance, Jock, lui dit sa mère. M. Harrison est venu nous faire une commission de la part de M. Grimshaw, le cousin de ton père dont je t’ai souvent parlé, tu te souviens ? »

Jock fit de la tête un signe affirmatif, en fixant sur le nouveau venu un regard d’une assurance gênante.

« Je suis l’homme d’affaires de M. Grimshaw, reprit le visiteur ; je suis chargé de vous inviter à venir passer quelque temps chez lui. Cela vous plairait-il ?

— Je n’y veux pas aller…, répondit Jock d’une voix déterminée.

— Jock, tais-toi ; tu n’es qu’un enfant impoli et un ingrat ! s’écria Mme Pôle. Mais je vous ai prévenu », ajouta-t-elle, en se tournant vers son visiteur.

M. Harrison ne semblait nullement offensé. Il avait remarqué la rougeur subite et l’expression de joie qui avaient envahi le visage de l’enfant à la nouvelle de la visite projetée ; puis, la pâleur qui y avait succédé lorsque Jock s’était retourné vers sa mère et Doris. C’était un observateur, grand ami des enfants ; de ses impressions fugitives il tira des conclusions.