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— Eh bien ! je veux être ingénieur quand je serai grand. J’ai le désir d’inventer, c’est pourquoi j’observe beaucoup.

— Ingénieur ! mais ton père était soldat. Ne veux-tu pas être soldat toi-même ?

— Maman parle comme vous, mais mon désir est différent. Quant à papa, il disait que l’important est de faire son devoir, quelque profession que l’on ait embrassée. »

M. Grimshaw regardait Jock avec un intérêt croissant.

« On s’est trompé, se dit-il à lui-même. Après tout, il ressemble à son père. Puis il ajouta tout haut : Quand j’étais jeune, je me sentais aussi plein d’enthousiasme ; mon beau feu s’est évanoui, mais je l’admire dans les autres. C’est parce que j’ai aimé ton père que je voulais connaître tes projets. Maintenant je vais retourner à la bibliothèque ; les forces me manquent pour sortir ; si la promenade te tente, tu la feras seul. »

Jock déclara poliment qu’à tout autre plaisir il préférait la compagnie de son vieil oncle. Il était si heureux d’avoir trouvé un auditeur sympathique qu’il avait grande envie de continuer ses confidences.

Aussitôt que le vieux monsieur fut installé dans son fauteuil près d’un bon feu, il se retourna vers l’enfant et reprit la conversation.

« Alors ta mère dit que tu ne pourras jamais exercer la profession que tu as choisie ; que compte-t-elle faire de toi ?

— Elle veut que je sois commis dès que j’en aurai l’âge. Quelqu’un lui a promis de me prendre dans son bureau ; et quand je lui ai parlé d’être ingénieur, elle m’a simplement répondu de ne pas faire la bête !

— Elle a toujours été insensée », grommela l’interlocuteur.

Mais, à cette remarque. Jock s’emporta.

« Vous n’avez pas le droit de parler ainsi de maman, s’écria-t-il vivement ; papa m’a dit de prendre toujours soin d’elle et de Doris ; j’espère ne pas faillir à ma tâche.

— Et si tu ne veux pas occasionner de dépenses à ta mère après ton départ de l’école, comment comptes-tu acquérir les connaissances nécessaires à un ingénieur ? demanda M. Grimshaw, sans paraître avoir remarqué la répartie un peu vive de Jock.

— C’est précisément ce qui m’embarrasse, répliqua Jock, le front plissé. Malgré mes efforts, je ne vois pas comment j’y arriverai. Pourtant il me tarde de me créer des ressources ; j’enverrai à maman et à Doris tout ce que je gagnerai.

— En ce cas, de quoi comptes-tu vivre ? demanda le vieillard avec un sourire.

— Oh ! Tramp et moi pouvons nous contenter de peu. Nous ne faisons pas attention à ce que nous mangeons. »

Le visage du vieux monsieur était moins sardonique qu’à l’ordinaire en regardant l’enfant qui, la tête rejetée en arrière, les yeux étincelants, l’air résolu, avait perdu sa gaucherie habituelle et pris un air de dignité.

« Pauvre chéri ! dit-il doucement. Quel mélange tu es ! À moitié homme déjà par les soucis que la pauvreté fait peser sur tes