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BOURSES DE VOYAGE

Si M. Horatio Patterson fut flatté d’entendre cette citation latine sortir successivement de la bouche des lauréats, inutile d’insister à cet égard. Mais enfin, il avait bonne envie de dormir, et il répondit :

« Restez, si cela vous plaît, à respirer l’air du soir sur la dunette… Mais moi… je serai ce piger… je serai même ce nullus, et je vais me coucher…

— Bonne nuit, monsieur Patterson ! »

Le mentor redescendit sur le pont et rentra dans sa cabine. Une fois allongé sur son cadre, le hublot ouvert afin d’obtenir plus de fraîcheur, il s’endormit du sommeil des justes, après que ces mots se furent échappés de sa bouche :

« Rosam… letorum… angelum ! »

Louis Clodion et ses camarades demeurèrent une heure encore en plein air. Ils causèrent du voyage aux Antilles, rappelant telle ou telle circonstance qui les avait frappés, songeant, au retour dans leurs familles, à cette joie de raconter tout ce qu’ils avaient fait, tout ce qu’ils avaient vu depuis leur départ.

De même que Harry Markel avait hissé son feu blanc à l’étai de misaine, de même le capitaine du navire inconnu avait hissé le sien à l’avant.

C’est prudent par ces nuits obscures, alors que courants et contre-courants peuvent occasionner des collisions. De la dunette on voyait osciller le fanal de ce bâtiment qui, sans changer de place, se balançait sous l’action d’une longue boule.

Tony Renault se promettait bien, cette fois, de ne point dépasser les sex horas, recommandées par l’école de Salerne. Avant cinq heures du matin il aurait quitté sa cabine, il serait sur la dunette. Et, si ce navire se trouvait encore par le travers de l’Alert, on hisserait le pavillon pour lui demander sa nationalité.

Enfin, vers dix heures, tous les passagers étaient endormis, sauf Will Mitz, qui se promenait sur le pont.

Mille pensées agitaient l’esprit du jeune marin. Il songeait à la Barbade… où il ne reviendrait pas avant trois ou quatre ans… à sa mère qu’il serait si longtemps sans revoir… à son embarquement sur l’Elisa Warden… à la position qu’il allait y occuper… à ce voyage qui le conduirait à travers des mers nouvelles pour lui…

Puis il songeait à l’Alert, sur lequel il avait pris passage… à ces jeunes garçons pour lesquels il éprouvait tant de sympathie… Tony Renault et Magnus Anders l’intéressaient surtout par leur goût pour la navigation.

Puis, c’était l’équipage de l’Alert, ce capitaine Paxton, dont la personne lui inspirait une involontaire répulsion, ces marins, si peu enclins à l’accueillir !… Jamais il ne se les fût imaginés tels, et reviendrait-il de cette défavorable impression ?…

Tout à ses préoccupations, Will Mitz allait du gaillard d’avant à la dunette. Quelques-uns des matelots étaient étendus le long des bastingages, les uns dormant, les autres causant à voix basse.

Harry Markel, voyant qu’il n’y avait rien à faire cette nuit, était rentré dans sa cabine, après avoir donné l’ordre qu’on le prévînt si le vent fraîchissait.

John Carpenter et Wagah, postés sur la dunette, regardaient le feu du trois-mâts dont l’éclat faiblissait. Une légère brume commençait à se lever. La lune étant nouvelle, les étoiles s’éteignant derrière les vapeurs, il régnait une profonde obscurité.

Il arriva donc que le navire voisin de l’Alert ne fut bientôt plus visible. Mais il était là… Si des cris se faisaient entendre, il mettrait ses embarcations à la mer et peut-être recueillerait-il quelques-unes des victimes ?…

Ce bâtiment devait compter vingt-cinq ou trente hommes d’équipage… Comment soutenir la lutte s’il l’engageait ?… Dans ces con-