Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/640

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voi, se mirent à tournoyer vertigineusement autour des quatre faces du carré qui continuait sa marche, vidant leurs fusils dans la masse, et allant s’abriter de son feu et recharger leurs armes dans les plis de terrain dont est haché le chemin parcouru par la colonne. Vingt fois ils se précipitent, comme des fauves blessés, et en poussant d’effroyables cris, sur les quatre faces de cette citadelle mouvante pour chercher à y faire brèche et à y jeter le désordre ; mais ils se heurtent contre le calme et l’imperturbabilité de nos fantassins, qui, familiarisés déjà avec ce genre d’ennemis, tiraient sans se presser et sans perdre une balle.

« Cette impuissance des rebelles ne faisait qu’accroître leur surexcitation et leur rage ; dès lors leur audace, leur témérité ne connaissent plus de bornes : debout sur leurs étriers, la bride au pommeau de la selle, l’œil en feu, l’injure et l’écume à la bouche, la rage au cœur, le fusil tournoyant en l’air, ils se lancent en enfants perdus, et s’abattent comme une volée d’oiseaux gigantesques sur les faces du carré ; mais ils y sont reçus par la mort, qui noie la sainte fureur des « Mouedjeheddin[1] » dans les flots de leur sang et qui en fait des martyrs de la Guerre Sainte.

« Il fallait pourtant en finir : exaspérés par cette lutte qui décime leurs guerriers sans profit pour leur cause, ivres de poudre, de bruit, de mouvement et de sang, les chefs des rebelles ont résolu de tenter un suprême et décisif effort ; ils réunissent autour d’eux tout ce qui restait debout de ces valeureux cavaliers qui, depuis un an, combattent pour la foi. Si Lala leur rappelle leurs glorieuses journées de poudre depuis qu’il avait levé l’étendard de la révolte, et « aujourd’hui encore, leur disait-il, il faut vaincre ; car il n’y aura que la honte pour les Musulmans qui désespéreront de la victoire et tourneront le dos au combat. Il ne faut pas que nos femmes puissent nous jeter à la face le reproche d’avoir fui devant une poignée de chrétiens ! »

« Puis, prenant la tête de la charge, Si Lala, suivi d’une cinquantaine de cavaliers d’élite, se précipitait avec une impétuosité irrésistible sur l’une des faces du carré en marche : pareils à une trombe de fer et de feu, ces merveilleux cavaliers fondent sur la ligne des tirailleurs de gauche tenue par les zouaves, qu’ils culbutent sur leur passage, et pénètrent dans le carré, où ils jettent le désordre. Le moment était critique ; mais le commandant de Galliffet a vu le danger : il enlève vigoureusement ses escadrons, se précipite sur les assaillants, les repousse et les rejette en dehors de la ligne des tirailleurs, lesquels, ayant repris leurs rangs, fusillent à leur tour les cavaliers de Si Lala tant qu’ils restent dans la portée de leur armes.

« Cette dernière charge de Si Lala lui coûte quelques-uns des meilleurs cavaliers qui suivaient sa fortune, aussi, à partir de ce moment, l’attaque commença-t-elle visiblement à faiblir ; peu à peu le feu des rebelles diminue d’intensité, puis les dernières paroles de la poudre se perdent dans les sinuosités de la vallée. Les rebelles avaient disparu. Le calme venait remplacer la tempête, et il ne restait plus d’autres traces du passage de l’ouragan que quelques cadavres dont les burnous blanc-sale se confondaient avec le sol, des chevaux errants traînant des selles vides sous leur ventre, et cherchant, la tête haute et la lèvre supérieure relevée, la direction perdue.

« L’action avait duré quatre heures. Et jamais, depuis le commencement de l’insurrection, on n’avait vu les Arabes combattre de si près, avec autant d’audace et d’acharnement…[2] »

Un rude jouteur, ce Si Lala, père du grand Si Hamza !

Il fut l’âme de l’insurrection de 1806. De

  1. Mouedjeheddin, combattants pour la guerre sainte.
  2. Colonel Trumelet. — Histoire de l’Insurrection des Oulad Sidi Cheikh.