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moins, elle était encore propre à faire son office.

La pièce la plus malaisée à réparer fut l’arbre de couche, qui n’avait pas d’analogue dans l’épiornis naturel (ou numéro 1), et qui resta atteint de gibbosité irréductible, sans perdre beaucoup de son efficacité.

« Nous sommes bossu, mais nous n’en gardons pas moins forme épiornique », expliquait Gérard.

Et, de fait, l’Epiornis no 3, sans avoir l’élégance suprême de son ancêtre naturel, ni la majesté de son prédécesseur artificiel, témoignait déjà, par des mouvements bien coordonnés et de tout point harmoniques, de son appropriation de plus en plus marquée à la fonction titanesque qu’on allait lui assigner. Le moteur, remis au point par Henri, se mettait en marche à la plus légère invite. Il n’y avait plus qu’à donner le dernier coup de pouce à l’ensemble, à embarquer les vivres.

Bientôt, il n’y eut plus qu’à s’envoler.

La question des passagers avait été définitivement réglée. Henri ayant demandé au commandant s’il lui permettrait d’embarquer par surcroît le petit Djaldi, qui ne serait pas encombrant et mourait d’envie de partir, s’était heurté à un refus catégorique et n’était pas revenu à la charge. Il ne devait prendre à bord qu’un compatriote, — un Français, puisqu’il en faisait une condition, et ce serait M. Wéber ou Le Guen. Il était donc convenu que M. Wéber partirait, les connaissances de l’ex-gabier en mécanique étant trop rudimentaires pour qu’il pût être seul d’une réelle utilité.

M. Wéber avait accepté de fort mauvaise grâce l’ultimatum du commandant et avait même essayé à plusieurs reprises de faire revenir celui-ci sur sa décision, plaidant la cause de Gérard avec toute la chaleur de son cœur affectueux. Le commandant avait fait la sourde oreille. Intimement persuadé qu’Henri serait bien plus anxieux de tirer les Anglais de l’île si son frère y demeurait avec eux, il était bien résolu à le garder envers et contre tous.

Certes, c’était méconnaître Henri que de douter de son humanité et de la bonne foi absolue qu’il apportait dans la conduite de cette affaire ; mais M. Marston, excellent homme, avait par sa mère du sang écossais dans les veines et, largement doué de la prudence qui distingue ses compatriotes, il était décidé à garder tous les atouts de son côté et à ne rien laisser au hasard.

Tout est prêt : vivres, couchettes, vêtements de rechange, couvertures, sont à leur place. Accroupi sur ses pattes d’acier, l’Epiornis reconstitué n’attend que le signal pour s’élancer, emportant son audacieuse cargaison humaine à travers les espaces. M. Wéber et Henri sont sur le point de s’embarquer ; autour d’eux, les Anglais contemplent avec étonnement la surprenante machine, œuvre combinée de la nature et de l’art. Ils envient le sort de ceux qui vont s’envoler, bien que le plus brave sente son cœur s’émouvoir à la pensée de se confier à cette audacieuse embarcation, pour braver à la fois les dangers inconnus de l’azur et ceux de l’Océan.

Le bon M. Wéber, rajustant ses lunettes sur son nez, serre une dernière fois Gérard dans ses bras. Il ne peut se résoudre à le quitter. Il lui semble commettre une mauvaise action en abandonnant le cher enfant sur l’île. N’est-ce pas à lui, qui a découvert l’Epiornis fossile, qui est jeune, bouillant, entreprenant, qu’il appartient de partir ?… N’est-ce pas le rôle des vieux, de ceux qui sont usés, dont la carrière est finie, de rester, d’attendre avec patience ?… Maudit commandant !… odieuse discipline !… pourquoi faut-il que ses deux amis lui aient prêché la nécessité de se soumettre et de montrer l’exemple à l’équipage ?… Le bon Wéber serait tout prêt à se révolter, si ses chers enfants manifestaient la moindre velléité d’insubordination. Mais ils lui ont donné de si excellentes raisons qu’il est bien forcé de s’incliner — à regret !…

« Allons, cher ami ! en place !… Bon voyage