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— Oui, Sahib !… Djaldi très sage… » répliqua l’enfant avec soumission.

Et pelotonné dans son coin comme un ouistiti, les yeux fixé sur son cher « Gérard Sahib », bercé par le mouvement égal et moelleux de l’aviateur, il ne tarda pas à s’endormir.

Djaldi était simplement en train de vivre un de ces contes dont on amuse les petits enfants de tous les pays, et dans lesquels un puissant magicien vous emporte d’un bout à l’autre de l’univers, rien qu’en vous faisant poser le pied sur un petit carré de tapis. Les Sahibs, eux, s’étaient donné la peine de construire ce grand oiseau, mais le principe était le même ; satisfait de respirer en plein conte de fée, le petit Hindou n’en demandait pas davantage et se laissait aller aux douceurs du repos, comptant bien être « arrivé » au réveil. Arrivé où ?… C’est ce dont il s’inquiétait peu, pourvu qu’il fût avec ses chers Sahibs.

« Naturellement, fit Gérard après un long silence, c’est à Ceylan que nous allons ?

— Bien entendu. Je n’ai pas cru devoir faire part de mes intentions à ce cher commandant, mais tu penses bien que c’est l’unique but du voyage.

— Et nous serons tout portés pour envoyer des secours à ces gentlemen, nous trouvant en territoire britannique…

— Justement ; une dépêche mise à la boîte dès que nous débarquerons en pays civilisé leur assurera une prompte délivrance. Ah ! qu’il me tarde de savoir ce cher Wéber et Le Guen sains et saufs !

— Oui ; il était dur de les laisser là-bas.

— Est-ce assez curieux que ce soit toi, après tout, qui viennes avec moi !

— N’est-ce pas ? quelle surprise de m’embarquer à la place du cher homme !… Si ce n’avait été pour une raison si fâcheuse, avec quelle joie j’aurais pris sa place !…

— Pourvu que Wilson sache soigner son bras !…

— Le Guen est là !… Oublies-tu qu’il est rebouteur-né. Je ne serais pas étonné d’apprendre qu’il a guéri sa foulure aussitôt que nous avons eu les talons tournés.

— Ah bah ! voilà un talent que je ne soupçonnais pas.

— Oh ! je lui ai vu faire des choses merveilleuses dans cet ordre-là, pendant notre mémorable odyssée africaine. Les nègres le croyaient sorcier ; et le fait est qu’il guérissait des entorses et des luxations où toutes les Facultés auraient perdu leur latin.

— Fasse le ciel qu’il ait pu au moins soulager notre cher Wéber ! Je ne saurais dire l’impression pénible que j’ai ressentie à voir son bras immobilisé et comme mort à côté de lui !…

— Oui, ces mains qui ont créé tant de merveilles devraient être à l’abri de tout accident. Mais, cher Henri, voici plus de deux heures que tu es là ! Est-ce qu’il ne serait pas grand temps que je te remplace ? Il faut absolument que tu me laisses me charger du moteur pendant que tu prendras quelque repos. Chacun son tour.

— Cela, mon cher Gérard, n’y compte pas !

— Quoi ! tu n’as pas la prétention, je pense, de nous mener à bon port sans dormir ni manger ?

— Sans manger, non. Tu auras l’obligeance de me passer un morceau, quand j’en sentirai le besoin ; je le mangerai sur place.

— Et tu ne dormiras pas ?

— Je ne dormirai pas avant que nous puissions atterrir quelque part. Non, mon ami, inutile de discuter ce point. Tu comprends qu’avec un outil aussi fragile, aussi inédit que le nôtre, je ne veux rien laisser au hasard. Je n’ai pas la moindre envie de nous faire casser les os pour le plaisir de m’abandonner à la paresse — d’autant que ce vice n’a jamais été mon travers dominant, tu en conviendras… Et puis, on dort toujours assez, je dirai même qu’on dort toujours trop…

— Qu’appelles-tu dormir trop ? Une heure sur douze, par exemple ?