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BOURSES DE VOYAGE

corps de l’un d’eux que le courant a porté sur la grève où il a été retrouvé, ainsi qu’on en a été avisé à la Barbade…

— Et rappelez-vous l’audace de ce Markel !… s’écria Tony Renault. N’a-t-il pas déclaré a l’officier de l’Essex qu’il avait perdu un de ses hommes dans la baie… et n’a-t-il pas même ajouté que si ce pauvre Bob avait reçu un coup de poignard, c’étaient probablement les bandits de l’Halifax qui l’avaient frappé !… Le misérable ! et puisse-t-il être repris… jugé… condamné… pendu… et les siens avec lui ! »

Ces quelques propos échangés, tandis que le canot gagnait vers le nord, montrent que les passagers de l’Alert n’ignoraient plus rien des circonstances dans lesquelles le massacre du capitaine Paxton et de son équipage s’était accompli. Lorsqu’ils embarquèrent, Harry Markel et ses bandits étaient déjà maîtres du navire.

Alors, Hubert Perkins posa cette question :

« Pourquoi, sans attendre notre arrivée, l’Alert n’a-t-il pas pris la mer ?…

— Faute de vent, répondit Louis Clodion. Tu te rappelles bien, Hubert, depuis deux jours le temps était aussi calme qu’il l’est aujourd’hui… Pendant notre traversée de Bristol à Cork, nous n’avons pas eu un souffle de brise… Évidemment, son coup fait, Markel espérait mettre à la voile, mais il ne l’a pas pu…

— Aussi, affirma Roger Hinsdale, ce misérable s’est-il décidé à jouer son rôle… Il est devenu le capitaine Paxton, et les autres sont devenus les matelots de l’Alert

— Et dire que, depuis bientôt deux mois, s’écria Tony Renault, nous vivons dans la société de ces coquins… des pillards, des assassins, et qu’ils ont été assez habiles pour faire figure d’honnêtes gens…

— Oh ! observa Albertus Leuwen, ils ne nous ont jamais inspiré aucune sympathie…

— Pas même ce Corty, qui affectait tant de bonnes intentions à notre égard !… déclara Axel Wickborn.

— Et encore moins Harry Markel, qui ne nous donnait pas une bonne idée du capitaine Paxton ! » ajouta Hubert Perkins.

Will Mitz les écoutait. Ils n’avaient plus rien à s’apprendre ni les uns ni les autres. Et ils se souvenaient, non sans honte et sans colère, des éloges qu’ils avaient faits du capitaine et de son équipage, des remerciements dont on avait comblé ces malfaiteurs, de la prime que Mrs Kethlen Seymour avait accordée à cette bande de meurtriers…

Et ces éloges, n’était-ce pas M. Patterson qui s’en était montré le plus prodigue dans les termes excessifs que lui suggérait son emphase habituelle ?

Mais, à cette heure, le mentor ne songeait guère à revenir sur le passé, ni à ce qu’il avait pu dire en l’honneur du capitaine. Assis au fond du canot, entendant à peine les observations échangées autour de lui, s’il avait songé à quelqu’un, c’eût été sans doute à Mrs Patterson…

En réalité, il ne songeait à rien. Alors une dernière question fut faite, à laquelle on répondit d’une façon assez plausible, qui était juste, d’ailleurs :

Pourquoi, après avoir reçu à bord les pensionnaires d’Antilian School, Henry Markel ne s’était-il pas débarrassé d’eux dès le début de la traversée, afin de rallier les mers du sud ?… À cette question, Louis Clodion fit la réponse suivante :

« Je crois bien que ce Markel avait l’intention de se défaire de nous dès que l’Alert aurait été en pleine mer. Mais, faute de vent, forcé de rester sous la côte, il aura appris que chaque passager devait toucher une prime à la Barbade, et, avec une incroyable audace, il a conduit l’Alert aux Antilles…

— Oui, dit Will Mitz, oui… ce doit être la raison, et c’est le désir de s’approprier cet argent qui vous a sauvé la vie, mes jeunes messieurs… en admettant qu’elle soit sauvée », murmura-t-il, car la situation s’aggravait sans