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JULES VERNE

capot, n’était-ce pas leur donner accès sur le pont ?…

Eh bien, Will Mitz aviserait si la navigation devait se prolonger. N’était-il pas possible qu’en vingt-quatre ou trente-six heures l’Alert eût d’ailleurs franchi les quatre-vingts milles qui le séparaient des Indes Occidentales ?…

Un incident ne tarda pas à trancher cette question de la nourriture des prisonniers. Elle allait être assurée, dût la traversée durer plusieurs semaines.

Il était environ sept heures, lorsque Will Mitz, qui faisait ses préparatifs d’appareillage, en fut distrait par ces cris de Louis Clodion :

« À moi… à moi !… »

Will Mitz accourut. De tout son poids, le jeune garçon pesait sur le grand panneau que l’on cherchait à soulever de l’intérieur. Harry Markel et les autres, après avoir défoncé la cloison du poste, avaient envahi la cale, et ils essayaient d’en sortir par le grand panneau. Et, certainement, ils y fussent parvenus si Louis Clodion n’eût arrêté la tentative.

Aussitôt Will Mitz, Roger Hinsdale, Axel Wickborne de lui venir en aide. Le panneau fut rajusté sur les hiloires, et, les barres de fer transversales mises en place, il serait impossible de le forcer. Même précaution fut prise pour le panneau de l’avant qui aurait pu livrer passage.

Will Mitz, revenant alors près du capot, cria d’une voix forte :

« Écoutez-moi là-dedans, et faites attention à ce que je dis ! »

Aucune réponse ne vint du poste.

« Harry Markel, c’est à toi que je m’adresse. »

En l’entendant, Harry Markel comprit que son identité était établie. D’une façon ou d’une autre, les passagers avaient tout appris et devaient être au courant de ses projets.

D’effroyables jurons, voilà la seule réponse qu’obtint Will Mitz. Il continua en ces termes :

« Harry Markel, sache bien et que tes complices le sachent aussi… nous sommes armés… Le premier de vous qui essayerait de sortir du poste, je lui casserais la tête. »

Et, à partir de ce moment, après avoir pris les revolvers du râtelier de la dunette, les jeunes garçons allaient veiller jour et nuit, prêts à faire feu sur quiconque apparaîtrait hors du capot.

Toutefois, si les prisonniers n’avaient plus chance de s’échapper, maintenant maîtres de la cale ils auraient des provisions en abondance : viande conservée, biscuits, barils de bière, de brandy et de gin. Et alors, libres de se livrer à tous les excès de l’ivresse, Harry Markel aurait-il le pouvoir de les retenir ?…

En somme, ces misérables ne devaient se faire aucune illusion sur les intentions de Will Mitz. Harry Markel n’ignorait pas que l’Alert ne se trouvait qu’à soixante-dix ou quatre-vingts milles des Antilles. Avec les vents régnants, il était possible de rallier l’une des îles en moins de deux jours. En outre, à travers ces parages si fréquentés, l’Alert rencontrerait nombre de bâtiments avec lesquels Will Mitz se mettrait en communication. Donc, de toute manière, soit à bord d’un autre navire, soit dans un des ports de l’Antilie, les pirates de l’Halifax, les échappés de la prison de Queenstown, n’auraient plus qu’à attendre le châtiment de leurs crimes.

Aussi Harry Markel devait-il comprendre qu’il ne lui restait aucune chance de salut… Il ne pourrait délivrer ses compagnons et redevenir une seconde fois maître à bord…

Les panneaux et le poste solidement fermés, il n’existait point d’autre communication entre le pont et la cale. Quant à percer la coque au-dessus de la flottaison, attaquer l’épais bordé et la solide membrure, ou trouer le pont, comment le faire sans outils ?… Et puis, ce travail ne se fût pas exécuté sans attirer l’attention… En vain même les prisonniers essayeraient-ils de s’introduire dans