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voyer de son poste, il fit exécuter à sa machine un arc de cercle de vingt degrés environ ; et, pointant rapidement devant lui, aussitôt que position fut prise, il ne tarda guère à apercevoir à l’œil nu ce que son frère lui-même ne distinguait tout à l’heure qu’avec l’aide d’une longue-vue : un îlot verdoyant, assis paisible et ensoleillé au milieu de la mer azurée.

« Non ! ce que nous avons de la veine ! clamait Gérard du haut de son observatoire. D’ici, cette île me fait l’effet d’un petit Éden, tout simplement ! Vois donc ces saules pleureurs qui trempent dans l’eau leur chevelure argentée !… Et ces peupliers qui élèvent au-dessus du fouillis de la verdure leur cône hardi !… La question est de savoir si nous allons trouver une place vide pour y atterrir, ajouta-t-il après un temps, et comme on se rapprochait de plus en plus du bouquet de verdure.

— Jamais, sans doute, la hache ou le sécateur n’ont passé dans cette végétation foisonnante. Ma parole ! tout ceci me paraît emmêlé d’une façon inextricable : un vrai nid de merle. Allons-nous être obligés de percher sur un de ces arbres ? Ce serait original ! Mais après tout, l’Epiornis a dû prendre pied plus d’une fois de cette manière… »

On était parvenu juste au-dessus de l’îlot, et Henri, ralentissant l’allure de l’aviateur autant qu’il était possible sans lui faire perdre l’équilibre, avait déjà fait deux fois le tour de cette petite terre sans que Gérard, fouillant de l’œil la nappe de verdure étendue à ses pieds, fût parvenu à y découvrir la moindre clairière, une solution de continuité quelconque.

« C’est tel que j’ai dit ! fit-il enfin, stupéfait, tandis qu’ils commençaient à décrire un troisième cercle. Pas un pouce de terre visible ! Il va falloir débarquer sur une branche, comme un simple oiseau — ou bien renoncer à ce refuge et chercher autre chose…

— Jamais, fit Henri avec décision. Descendons ! Descendons ! La machine ne peut, sans danger, demeurer en activité dix minutes de plus. Choisis de ton mieux… la branche propice. J’attends ton signal.

— Voici ! s’écria Gérard après une demi-minute de trajet supplémentaire. Je vois une sorte de géant trapu qui étend de tous côtés ses bras noueux ; probablement un baobab ; oui, je reconnais ses larges feuilles, sa toiture solide. Risquons-nous ! Un peu à gauche… Encore un peu… Là ! Maintenant, avance de dix mètres environ droit devant toi… Parfait ! Tu peux laisser porter. Je crois que nous allons trouver le point d’appui qu’il nous faut. Le problème sera ensuite : comment descendre de ce perchoir ?…

— L’important est de gagner le perchoir ! » murmura Henri.

Peu à peu, l’Epiornis ayant perdu son mouvement d’impulsion en avant, tombait avec lenteur, en une chute savamment contenue, comme un parachute, et venait s’arrêter sans choc appréciable sur le réseau de branches qui s’étend comme un toit naturel au faite de l’arbre monstrueux.


XVII

Le vieux bonze de Djaldi.


Le Géant de l’Azur s’était posé sur le sommet de l’arbre comme s’il n’eût fait que cela toute sa vie. Les branches penchèrent à peine sous son poids ; il se trouva assis sur le couronnement du baobab aussi moelleusement que dans un nid : on eût dit que les branches entrelacées horizontalement n’attendaient que ce visiteur.

« Parfait ! s’écria Gérard qui, penché sur le rebord, avait suivi d’un œil anxieux chaque mouvement du navire aérien ; maintenant nous allons amarrer notre oiseau pour qu’il ne