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BOURSES DE VOYAGE

la scène fut des plus touchantes. Non ! Mrs Patterson ne pouvait s’imaginer que son mari, cet homme si rangé, si méthodique, si en dehors de toutes les éventualités fâcheuses de la vie, eût été exposé à de tels dangers et s’en fût tiré avec tant de bonheur ! Mais ce que se disait cet excellent homme, c’est qu’il ne se risquerait plus jamais à braver les périls d’une traversée ! Il n’en sortirait peut-être pas si heureusement, non bis in idem, et Mrs Patterson admit sans conteste cet axiome de jurisprudence.

Lorsque M. Patterson déposa entre les mains de Mrs Patterson la prime de sept cents livres touchée à la Barbade, il ne put que lui exprimer son vif regret de n’y pas joindre le fameux trigonocéphale, présentement englouti dans les sombres abîmes de l’océan Atlantique. Quel bon effet ce serpent eût produit, sinon dans le salon de l’économat, du moins dans le cabinet d’histoire naturelle d’Antilian School !…

Et alors M. Patterson d’ajouter :

« Il ne nous reste plus maintenant qu’à prévenir le révérend Finbook, de la paroisse d’Oxford-street… »

Mrs Patterson ne put réprimer un sourire, et dit simplement :

« C’est inutile, mon ami…

— Comment… inutile ! » s’écria M. Patterson au comble de la surprise, et aussi de la stupéfaction.

Ceci demande une explication, la voici :

Par excès de précaution et dans sa fantastique manie d’ordre poussé à l’extrême en toutes choses, le méticuleux économe d’Antilian School, ne trouvant pas son testament suffisant pour régler ses affaires, avait imaginé de divorcer avant son départ. De cette façon, en cas que l’on fût sans nouvelles de lui, et même s’il ne devait jamais revenir, Mrs Patterson n’aurait pas à attendre des années et des années pour se trouver libérée de toute tutelle, comme il est arrivé à des femmes de grands voyageurs dans d’aussi tristes circonstances. M. Patterson ne pouvait se faire à l’idée que, pendant son absence, sa succession ne serait point immédiatement réglée comme il convient pour des choses qui doivent être conduites avec ordre et méthode, et que la chère compagne de sa vie, pour récompense de sa fidélité et de son affection, ne fût pas en mesure de disposer d’elle-même et de sa petite fortune comme il convient à une veuve.

Si les idées de M. Patterson étaient trop profondément enracinées pour qu’on songeât à lui opposer n’importe quelle bonne raison, sa digne épouse avait, elle aussi, ses principes bien arrêtés, si bien arrêtés qu’elle n’accepterait jamais un divorce, même dans ces conditions. Mais, en même temps que l’économe était très entêté, il était distrait prodigieusement — on a pu s’en rendre compte au cours de ce récit — et c’est sur cela que comptait Mrs Patterson pour que tout s’arrangeât selon son désir. D’accord avec un solicitor, vieil ami, un conseiller d’Antilian School et des deux époux, elle avait feint de