Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/753

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billé de flanelle blanche, il entraîna les enfants, les emporta plutôt.

La pluie de sable devenait mitraille !… les arbres craquaient… les branches volaient de tous les côtés…

Riquet eut la vision vague de pins qui se couchaient, ainsi que les épis sous la faux du moissonneur, et, sans trop savoir comment, il se trouva dans un espace noir, seulement éclairé par des tisons à demi consommés…

La tempête se déchaînait… Autour du frêle abri, de sinistres craquements… des chutes lourdes… Les bêtes de la cabane semblaient attendre la mort, blottis les uns contre les autres… À chaque éclair, Riquet les revoyait nettement ; le père, brûlé comme une souche, après un incendie de forêt, la mère, grande et forte, la jupe retroussée haut sur les chevilles nues, et les petits consternés, tous réunis dans un même sentiment de douleur et d’épouvante !

À chaque arbre qui tombait, Osmin tressaillait comme si on lui arrachait un lambeau de son cœur, puis il reprenait sa posture immobile et résignée…

III

Cela dura une heure ainsi !.. Enfin les éclairs s’espacèrent, le tonnerre s’éloigna… Seule, la pluie continua de faire rage : elle crépitait sur le toit comme si elle voulait le transpercer ! Le père se leva et alluma une chandelle de résine. Riquet aperçut alors la salle primitive au sol de terre battue, avec ses deux lits taillés à coups de hache en plein chêne, sa batterie de cuisine rudimentaire, sa vaisselle de bois et ses images, violemment coloriées, empruntées à quelques journaux illustrés du dimanche.

La mère rapprocha les tisons et plaça par-dessus deux pommes de pin.

« D’où vient cet enfant, Osmin ? » demanda-t-elle en patois gascon.

Riquet avait souvent entendu sa vieille bonne Rosalie se servir de la langue du pays ; il comprit sans peine la courte phrase.

« Je ne sais pas, répondit le résinier… Demande à Véronique. Je les ai rencontrés tous les trois dans la manade[1] qui monte ici… »

Véronique se secouait à son tour ; ainsi que ses parents, elle sortait de sa torpeur anxieuse :

« Je ne connais point le petit monsieur, déclara-t-elle, nous l’avons trouvé à genoux par terre, sous un pin, et j’ai pensé que nous ne devions pas l’y laisser…

— Tu as bien fait, ma fille… »

Et le résinier, se tournant vers Riquet, interrogea :

« Comment t’appelles-tu ?

— Henri de Hanteillan.

— Il y a un château de ce nom… là-bas au pays des vignes… du côté de Pauillac…

— C’est là que j’habite !

— Comment es-tu venu jusqu’ici ?

— Papa m’avait emmené voir le départ de la chasse au sanglier, à l’étang d’Hourtins… Il était convenu que je rentrerais, tout de suite après, avec Jean, le cocher, mais je me suis sauvé, pendant le déjeuner des domestiques, dans l’espoir de rejoindre les chasseurs par un raccourci… et je me suis perdu…

— De sorte qu’on te cherche en ce moment !

— C’est probable !

— Je ne puis te reconduire… Le temps est trop mauvais… Nous risquerions de recevoir un pin sur la tête… Demain, au jour, nous aviserons !

— En attendant, dit la femme, soupons… il est tard ! Véronique, apporte les troupès. »

La fillette obéit en rapprochant de la cheminée les escabeaux de bois : les convives s’assirent en rond et reçurent chacun une

  1. Sentier.