Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/101

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vaux, si bien que beaucoup de nos chevaliers restèrent à pied : par pénurie de montures, nous nous servions de bœufs en guise de destriers et, dans cette extrême nécessité, des chèvres, des moutons, des chiens étaient employés à porter nos bagages.

Puis nous entrâmes dans une terre excellente, remplie d’aliments corporels, de douceurs et de toute espèce de ressources, et nous approchâmes d’Iconium[1]. Les habitants de ce pays[2] nous persuadaient et nous avertissaient d’emporter avec nous des outres pleines d’eau, car, pendant tout un jour de marche, il y a une grande pénurie d’eau. Nous fîmes ainsi jusqu’à ce que nous eûmes atteint une rivière où nous campâmes deux jours. Nos coureurs commencèrent à aller de l’avant jusqu’à ce qu’ils fussent parvenus à Héraclée[3], où se trouvait une grosse troupe de Turcs, qui attendait et cherchait les moyens de nuire aux soldats du Christ. Les soldats du Dieu tout-puissant trouvèrent ces Turcs et les attaquèrent audacieusement. Ce jour-là, ils l’emportèrent sur nos ennemis qui fuyaient aussi rapidement qu’une flèche, lancée d’un coup sûr, s’enfuit de la corde d’un arc. Les nôtres pénétrèrent donc aussitôt dans la ville et nous y séjournâmes quatre jours[4].

Là, Tancrède, fils du Marquis, se sépara des autres, ainsi que le comte Baudouin, frère du duc Godefroi, et ils pénétrèrent ensemble dans la vallée de Bothrentrot[5]. Tancrède partit aussi de son côté et arriva à Tarse[6] avec ses chevaliers. Les Turcs sortirent de la ville et vinrent à sa rencontre : massés en un seul corps, ils se préparèrent à combattre les

  1. Iconium (Konieh), au centre du plateau d’Anatolie, à 1 187 mètres d’altitude, prise par les Turcs en 1084, mais, d’après Guillaume de Tyr (Historiens occidentaux, t. I, p. 18), évacuée par eux devant les croisés.
  2. Certainement des chrétiens et probablement des Arméniens.
  3. Eregli, l’ancienne Héraclée, sur le versant nord du Taurus cilicien, est, en effet, séparée d’Iconium par un désert. D’après Foucher de Chartres (I, 14, p. 337), les croisés y observèrent une comète qui fut vue en Occident au début d’octobre (Sigebert de Gembloux, dans les Monumenta Germaniae, Scriptores, t. VI, p. 367).
  4. Du 10 au 13 septembre 1097.
  5. Tancrède et Baudouin marchent directement au sud, à travers le Taurus cilicien, que le reste de l’armée franchira plus à l’est.
  6. Tarse, ville importante de Cilicie, non loin de l’embouchure du Cydnus, devenue, en 1072, la possession d’un chef arménien (Laurent, Byzance et les Turcs seldjoucides, p. 86-87). Sur ces événements, voir le récit plus détaillé de Raoul de Caen (33-47, p. 629-641) et d’Albert d’Aix (III, 5-17, p. 342-350).