Aller au contenu

Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bon gré, mal gré, il abandonna la cité et se retira vaillamment avec son armée et on lui livra aussitôt deux excellentes villes, Adana[1] et Manustra[2], ainsi que plusieurs châteaux.

[11.] Cependant, la grande armée, Raimond, comte de Saint-Gilles, le très savant Bohémond, le duc Godefroi et beaucoup d’autres entrèrent dans le pays des Arméniens[3], altérés et avides du sang des Turcs.

À la fin, ils parvinrent devant un château tellement fort qu’ils ne pouvaient rien contre lui. Il y avait là un homme appelé Siméon, qui était né dans le pays et qui demanda cette terre, afin de la défendre contre les entreprises des Turcs ennemis. Ils lui baillèrent la terre et il y demeura avec sa gent[4]. Nous partîmes de là et nous parvînmes heureusement à Césarée de Cappadoce[5]. Sortis de Cappadoce, nous arrivâmes à une cité magnifique et très riche que, peu avant notre venue, les Turcs avaient assiégée pendant trois semaines[6]. Mais ils n’eurent pas le dessus et, à notre arrivée, elle se rendit aussitôt entre nos mains avec une grande joie. Un chevalier, nommé Pierre d’Aups[7], la demanda à tous les seigneurs, afin de la défendre en toute fidélité de Dieu et du saint sépulcre, des seigneurs et de l’empereur. Ils la lui accordèrent de très bonne grâce[8]. La nuit suivante,

  1. Adana, au pied du Taurus, dans la partie la plus fertile de la Cilicie.
  2. Aujourd’hui Missis (l’antique Mopsueste), sur la rive droite du Djihoun.
  3. La Petite-Arménie (anciennes provinces de Cappadoce et de Cilicie) avait été colonisée, depuis le viie siècle, par les Arméniens fuyant devant l’invasion arabe. Au xie siècle, après la conquête de la Grande-Arménie par les Turcs, des chefs arméniens s’y étaient établis. Voir Laurent, L’Arménie entre Byzance et l’Islam (1919), p. 6 et 300.
  4. Ce qui signifie que Siméon, comme plus loin Pierre d’Aups, tint cette terre en fief des princes croisés.
  5. Kaïsarieh actuelle, située au centre du massif montagneux d’Argée.
  6. D’après Baudri de Bourgueil (I, 7, p. 39), cette ville serait Plastencia, l’ancienne Comana.
  7. Identifié avec Pierre d’Aups (localité du département du Var), seigneur provençal, passé du service de Robert Guiscard à celui d’Alexis Comnène. Voir Orderic Vital, IX, 8, éd. Le Prévost, t. III, p. 515.
  8. Passage intéressant qui résume les conditions juridiques dans lesquelles les princes croisés accordaient des fiefs et qui les montrent encore fidèles au serment prêté à l’empereur.