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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/127

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[17.] Le sire Bohémond, informé qu’une gent innombrable de Turcs marchait contre nous[1] vint trouver les autres chefs avec prudence et leur dit[2] : « Seigneurs et très sages chevaliers, qu’allons-nous faire ? Nous ne sommes pas assez nombreux pour pouvoir combattre en deux corps. Mais savez-vous ce que nous ferons ? Divisons-nous en deux parties ; que les piétons restent à garder les pavillons et ils pourront suffisamment tenir tête à la garnison de la ville ; que les chevaliers viennent avec nous au-devant de nos ennemis qui ont pris leurs quartiers tout près de nous, au château d’Harenc et au pont du Far. »

Le soir étant venu, le sage Bohémond sortit de ses tentes avec les autres chevaliers, très prudents, et il alla passer la nuit entre le fleuve et le lac[3]. Au point du jour, il envoya des éclaireurs, afin de voir le nombre des escadrons turcs, leurs positions et leurs manœuvres. Ils sortirent et se mirent à rechercher habilement où étaient postés les corps turcs. Ils virent enfin des Turcs innombrables qui arrivaient du côté du fleuve, divisés en deux escadrons ; leur force principale venait en arrière. Les éclaireurs, en effet, revinrent rapidement en disant : « Les voilà ! Ils viennent ! Préparez-vous tous, car ils approchent » ; et le sage Bohémond dit aux autres : « Seigneurs et chevaliers invincibles, rangez-vous en bataille » ; et ils répondirent : « Tu es sage, tu es prudent, lu es grand et magnifique, tu es un vaillant vainqueur, l’arbitre des batailles, le juge des combats. Fais tout ceci,

  1. Iagi-Sian, gouverneur d’Antioche, avait envoyé ses fils auprès des émirs de Damas, Alep et Jérusalem, pour leur demander des secours (Étienne de Blois, lettre no 2, dans Epistulae et chartae, p. 150, d’après qui l’armée turque de secours comprenait 12 000 hommes). Ces renseignements sont confirmés par les sources arabes (Recueil des historiens des croisades ; historiens orientaux, II, p. 329).
  2. D’après Raimond d’Aguilers (7, p. 246), ce conseil de guerre eut lieu au quartier de l’évêque du Puy, « in domo episcopi ».
  3. Le lac d’Antioche, situé à environ trente kilomètres au nord-est de la ville, reçoit les eaux du Kara-Sou et se déverse dans l’Oronte par un émissaire. Étienne de Blois (lettre no 2, dans Epistulae et chartae, p. 150) et Anselme de Ribemont (lettre no 2, Ibid., p. 158) s’accordent sur le chiffre de 700 chevaliers comme effectif de l’armée des croisés.