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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/147

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la cité, soit par lui-même, soit par d’autres, concédons-lui sa possession d’une voix unanime. » Mais ceux-ci refusèrent et s’y opposèrent en disant : « Nul ne recevra la possession de cette cité, mais nous l’aurons tous à part égale ; nous avons supporté tous les mêmes travaux, nous recevrons tous le même honneur. » Bohémond, a ces mots, sourit légèrement et se retira aussitôt.

Peu après, nous reçûmes des nouvelles de l’armée de nos ennemis[1], Turcs, Publicains, Azymites[2] et autres nations. Aussitôt nos chefs se réunirent et tinrent conseil[3] en disant : « Si Bohémond peut acquérir la cité par soi-même ou par d’autres, nous lui en faisons don bien volontiers, à cette condition que, si l’empereur vient à notre secours et veut observer la convention qu’il nous a promise et jurée, nous lui remettrons la ville de droit, même dans le cas où Bohémond l’aurait en sa possession[4]. »

Bientôt Bohémond commença à presser son ami humblement par des demandes quotidiennes, lui promettant toute espèce d’égards et d’avantages en ces termes : « Voici venir le moment favorable où nous pourrons accomplir le bien que nous avons résolu : que mon ami Pirrus m’accorde

  1. Une armée envoyée par le sultan de Perse (Kharezm) et commandée par l’émir de Mossoul, Kerbôga, marchait au secours d’Antioche et, sur sa route, avait assiégé inutilement Édesse. La nouvelle arriva aux croisés peu de jours avant la capitulation de la ville (Anselme de Ribemont, 2e lettre, dans les Epistulae et chartae, p. 159) et, d’après Albert d’Aix (IV, 14, p. 398-399), sept jours avant l’arrivée de l’armée turque devant la ville, soit le 28 mai.
  2. Les Grecs appelaient « Azymites » tous ceux qui usaient de pain azyme pour l’Eucharistie, comme les Latins, les Maronites, les Arméniens. C’est de ces derniers qu’il est question ici.
  3. Ce conseil de guerre eut lieu vraisemblablement le 29 mai 1098.
  4. L’Anonyme est le seul à donner le texte précis de cette convention importante, véritable compromis entre les projets ambitieux de Bohémond, qui ne paraît plus se soucier des droits de l’empereur, et la résistance des autres princes, surtout Raimond de Toulouse, qui veulent réserver les droits impériaux comme une barrière aux projets de Bohémond. Albert d’Aix (IV, 16, p. 400) cite simplement le fait. Raimond d’Aguilers (8, p. 250) le place en janvier et dit que Raimond de Toulouse refusa de faire aucune promesse.