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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/169

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Remplie de chagrin, je t’ai suivie d’Alep, ville magnifique, dans laquelle, par des observations et des recherches ingénieuses, j’ai lu dans les astres et j’ai interrogé les planètes et les douze signes[1] et les innombrables présages. Dans tous, j’ai trouvé que la gent chrétienne nous vaincra partout, et je tremble pour toi, dans ma tristesse, redoutant de rester privée de toi. »

Courbaram lui dit : « Mère chérie, dis-moi tout ce que mon cœur se refuse à croire. » — « Je le ferai volontiers, très cher, répondit-elle, si je sais les choses qui te sont inconnues. » — « Bohémond et Tancrède, reprit-il, ne sont pourtant pas les dieux des Francs et ne les délivrent pas de leurs ennemis parce qu’ils mangent en un seul repas 2 000 vaches et 4 000 porcs[2] ! » — « Très cher fils, dit la mère, Bohémond et Tancrède sont mortels comme tout le monde, mais leur Dieu les préfère à tous les autres et leur donne la force de combattre avant tous les autres ; car leur Dieu, son nom est tout-puissant, a fait le ciel et la terre et a créé les mers et tout ce qu’elles renferment[3] ; son trône a été préparé au ciel éternellement, sa puissance est partout à craindre. » — « S’il en est ainsi, répartit le fils, je ne cesserai pas de les combattre. » La mère, entendant qu’il ne voulait pas céder à ses objurgations, retourna, pleine de tristesse, à Alep, non sans emporter avec elle tout le butin qu’elle put y conduire.

[23.] Le troisième jour[4], Courbaram s’arma et un gros de

    cher les prophéties arabes transmises aux croisés devant Damiette en 1219 (édit. Röhricht, Quinti belli scriptores, publication de la Société de l’Orient latin, série historique, t. II, p. 202-228).

  1. Les douze signes du zodiaque. Témoignage intéressant sur la vogue de l’astrologie à cette époque.
  2. Il y a quelque obscurité dans cette réflexion ironique. Baudri de Bourgueil (III, 4, p. 63, variante 25 des manuscrits G) en a certainement altéré le sens en essayant de l’expliquer. En revanche, les chiffres donnés comme correspondant aux besoins des croisés seraient intéressants si l’on pouvait en prouver la véracité.
  3. Exode, XX, 11.
  4. Le 8 juin. L’Anonyme reprend son récit au troisième jour de l’arrivée de Courbaram devant Antioche. La lettre des princes à Urbain II (Epistulae et chartae, p. 162) et celle d’Anselme de Ribemont (Ibid., p. 159) indiquent la même date.