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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/173

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à la mer[1]. Puis les Turcs survinrent et tuèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, mirent le feu aux navires embossés dans le lit du fleuve et s’emparèrent de leurs dépouilles.

Nous qui restâmes, nous ne pouvions plus supporter le poids de leurs armes et nous établîmes entre eux et nous un mur[2] que nous gardions jour et nuit. Au même moment, nous fûmes tellement resserrés par le blocus que nous mangions nos chevaux et nos ânes[3].

[24.] Un jour, nos chefs se trouvaient dans la ville haute, devant le château, pleins de tristesse et de douleur, lorsqu’un prêtre[4] parut devant eux et leur dit : « Seigneurs, écoutez, s’il vous plaît, ce que j’ai vu dans une vision : j’étais couché la nuit dans l’église de Sainte-Marie, mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ, lorsque m’apparut le Sauveur du monde avec sa mère et le bienheureux Pierre, prince des Apôtres, et il se tint devant moi et me dit : « Me reconnais-tu ? » À quoi je répondis : « Non. » À ces mots, une croix entière m’apparut sur sa tête[5]. De nouveau, le Seigneur m’interrogea : « Me reconnais-tu ? » — « Je ne te reconnaîtrais pas, lui dis-je, si je ne voyais sur ta tête une croix semblable à celle de notre Sauveur. » — « Je le suis, dit-il. » Aussitôt je tombai à ses pieds en le suppliant humblement de nous secourir dans les calamités qui nous opprimaient. Le Seigneur répondit : « Je vous

  1. Comme l’indique la phrase suivante, ils sortirent du lit du fleuve pour gagner le large.
  2. Ce mur fut construit à l’intérieur de la ville, dont les Turcs occupaient les parties hautes.
  3. Cf. les lettres des princes à Urbain II (Epistulae et chartae, p. 162) et du clergé et du peuple de Lucques (Ibid., p. 166).
  4. D’après Raimond d’Aguilers (11, p. 255, et 18, p. 286), il s’appelait Étienne Valentin, et ce fut le 11 juin qu’il révéla sa vision.
  5. Cette croix n’est autre chose que celle qui orne toujours le nimbe réservé au Christ par la tradition de l’art religieux. Le prêtre voit le Christ comme il est représenté dans l’art.