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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/199

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mée, il fît sonner la retraite, car, dans ce cas, les Turcs auraient perdu la bataille.

Aussitôt, Courbaram commença à reculer lentement vers la montagne[1] et les nôtres les poursuivaient du même pas. Puis les Turcs se divisèrent une partie se dirigea vers la mer, tandis que les autres restaient sur place dans l’espoir de nous cerner entre eux[2]. Les nôtres s’en aperçurent et firent de même. Un septième corps de bataille fut ordonné avec des troupes du duc Godefroi et du comte de Normandie et placé sous le commandement de Rainaud[3]. On l’envoya à la rencontre des Turcs qui arrivaient de la mer. Les Turcs engagèrent le combat avec eux et tuèrent beaucoup des nôtres à coup de flèches. D’autres bataillons furent disposés depuis le fleuve jusqu’à la montagne sur un espace de deux milles.

Ces bataillons commencèrent à s’avancer des deux côtés et enveloppèrent les nôtres en les blessant à coups de javelots et de flèches[4]. On voyait aussi sortir de la montagne des troupes innombrables, montées sur des chevaux blancs, et blancs aussi étaient leurs étendards. À la vue de cette armée, les nôtres ne savaient ce qui arrivait ni quels étaient ces soldats, puis ils reconnurent que c’était un secours du Christ, dont les chefs étaient les saints Georges, Mercure et Démétrius. Ce témoignage doit être cru, car plusieurs des nôtres virent ces choses[5].

  1. L’armée chrétienne étant sortie par la porte du Pont, les Turcs battent en retraite vers les montagnes situées au nord d’Antioche.
  2. Cette division turque est chargée d’attaquer les croisés sur leur flanc gauche.
  3. Dans ces dispositions si sages, on devine l’action de Bohémond. Rainaud, d’après Guillaume de Tyr (VI, 17), est un chevalier lorrain de Toul ; le manuscrit  (voir p. 154, variante b) le donne comme originaire de Beauvais.
  4. Les deux divisions turques, celle qui était du côté de la mer et celle qui reculait vers la montagne, attaquent les croisés en même temps.
  5. Ces trois saints, que l’iconographie chrétienne représentait en costumes de guerre, étaient les patrons des armées byzantines. Saint Georges devait devenir celui des croisés. L’Anonyme et ses remanieurs sont les seuls à parler de cette vision céleste. Ni Raimond d’Aguilers, qui assistait à la bataille, ni Albert d’Aix n’en parlent. Foucher de Chartres (I, 23, p. 349) dit que les Turcs se sauvèrent comme s’ils avaient été effrayés par un signe céleste. Seule la lettre du clergé et du peuple de Lucques (Epistulae et chartae, p. 167) parle de l’apparition d’une bannière immense entourée d’une multitude de guerriers.