Aller au contenu

Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surmonté tant de périls. Il fut décidé en conseil qu’on ne pouvait encore pénétrer dans la terre des païens[1], car, en été, elle est trop aride et dépourvue d’eau[2] ; on accepta donc de fixer le terme de cet arrêt aux calendes de novembre[3]. Les seigneurs se dispersèrent et chacun partit pour sa terre[4], afin d’y attendre le terme convenu. Les princes firent proclamer par toute la ville que ceux qui se trouveraient dans la gêne et manqueraient d’or et d’argent pourraient, s’ils le désiraient, demeurer avec eux moyennant contrat et seraient retenus par eux avec plaisir[5].

Il y avait un chevalier de la bande du comte de Saint-Gilles, appelé Raimond Pilet[6], qui retint à son service pas mal d’hommes, chevaliers et piétons. Il partit avec la troupe qu’il avait rassemblée et entra bravement dans la terre des Sarrasins. Ayant dépassé deux cités, il parvint à une forteresse nommée Talamannia[7]. Les habitants de la forteresse, des Syriens, se rendirent tout de suite à lui spontanément. Ils y séjournaient depuis environ huit jours, lorsque des messagers vinrent lui annoncer qu’il y avait tout près un château de Sarrasins pourvu d’une nombreuse garnison. Les pèlerins, chevaliers du Christ, marchèrent immédiatement sur

  1. C’est-à-dire dans la terre des Sarrasins, en Syrie.
  2. En Syrie, la saison des pluies va du milieu de l’automne au début du printemps. L’été est particulièrement chaud dans la zone de l’intérieur, où le thermomètre marque des températures tropicales ; quand le vent d’est souffle, le thermomètre marque trente-trois degrés à Beyrouth et trente-six degrés dans la montagne. Les eaux sont rares. Le débit des torrents, très abondant en hiver, est réduit à rien en été ; seuls l’Oronte, le Jourdain et le Barada ont alors un débit appréciable. Cf. Achard, Études sur la Syrie et la Cilicie, publication du haut commissariat de la République française en Syrie, 1922, p. 74-79 (annexe au « Congrès français de la Syrie à Marseille »). Voir aussi dans les Actes de ce congrès la communication du docteur Nègre, fascicule IV (climatologie), p. 17-22.
  3. En réalité, avant de continuer la marche sur Jérusalem, chacun des chefs songeait à quelque entreprise particulière, mais la mesure prise par le conseil était très mal vue de certains croisés. Cf. Raimond d’Aguilers, 13, p. 302.
  4. Dans les châteaux et villes de Cilicie qu’ils avaient occupés avant la prise d’Antioche. D’après Raimond d’Aguilers (13, p. 262), Bohémond retourne en Romanie (Asie Mineure), Godefroi de Bouillon va à Rohez (Édesse), dont son frère Baudouin avait acquis la souveraineté. L’Anonyme a omis cet événement.
  5. Exemple intéressant de troupes soldées jusqu’à un terme fixé.
  6. Sur Raimond Pilet, voir Arbellot, Les chevaliers limousins aux croisades, p. 29. Cf. Henri de Huntingdon, dans les Historiens occidentaux, t. V, p. 378.
  7. Ce serait le village de Tell-Mannas, non loin de Marra.