Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/247

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salem et qu’elle serait accompagnée de prières, d’aumônes et de jeûnes[1].

Le vendredi[2], de grand matin, nous donnâmes un assaut général à la ville sans pouvoir lui nuire ; et nous étions dans la stupéfaction et dans une grande crainte. Puis, à l’approche de l’heure à laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ consentit à souffrir pour nous le supplice de la croix[3], nos chevaliers postés sur le château[4] se battaient avec ardeur, entre autres le duc Godefroi et le comte Eustache son frère. À ce moment, l’un de nos chevaliers, du nom de Liétaud[5], escalada le mur de la ville. Bientôt, dès qu’il fut monté, tous les défenseurs de la ville s’enfuirent des murs à travers la cité et les nôtres les suivirent et les pourchassèrent en les tuant et les sabrant jusqu’au temple de Salomon[6], où il y eut un tel carnage que les nôtres marchaient dans leur sang jusqu’aux chevilles[7].

De son côté, le comte Raimond, placé au midi, conduisit son armée et le château de bois jusqu’auprès du mur. Mais entre le château et le mur s’étendait un fossé, et l’on fit crier

  1. La chronologie de l’Anonyme est ici en défaut. Ce fut le 6 juillet que la procession fut ordonnée par le conseil des princes, et elle eut lieu le vendredi 8 juillet (Raimond d’Aguilers, 20, p. 296-297 ; lettre de Daimbert dans les Epistulae et chartae, p. 170).
  2. Le 15 juillet 1099.
  3. D’après les Évangiles, le Christ fut crucifié à la troisième heure (Marc, 15, 25) : soit, vers neuf heures du matin. Les ténèbres commencèrent à couvrir la terre à la sixième heure (midi) et il expira à la neuvième heure, vers trois heures du soir (Mathieu, 27, 45-46 ; Marc, 15, 33-34). Le texte de l’Anonyme ne précise pas. Michaud et Sybel adoptent l’heure de la mort de Jésus (trois heures du soir) ; Hagenmeyer, s’appuyant sur le témoignage de Raimond d’Aguilers (20, p. 299), d’après lequel les Provençaux combattaient encore à midi, alors que les croisés étaient déjà dans la ville, en conclut que leur entrée a eu lieu dès neuf heures du matin ; cependant, si l’on examine ce texte, on voit que c’est vers cette heure de midi que Raimond place l’entrée des premiers croisés à Jérusalem, et il se trouve d’accord avec Foucher de Chartres, I, 27, p. 359 : « Bientôt, à l’heure de midi, les Francs pénétraient dans la ville. » Ce témoignage décisif ne contredit en rien celui de l’Anonyme, qui se contente de dire : « À l’approche de l’heure à laquelle, etc. »
  4. C’est-à-dire dans la tour roulante.
  5. Originaire de Tournai. Voir Albert d’Aix, VI, 11, p. 472 : « Liétaud et Engilbert, originaires de la cité de Tournai. »
  6. C’est-à-dire la mosquée d’Omar, bâtie sur son emplacement, à l’angle sud-est de la ville, en face du Saint-Sépulcre.
  7. Détail confirmé par la lettre de Daimbert (Epistulae et chartae, p. 171}, qui dit que, dans le temple de Salomon, les chevaux avaient du sang « jusqu’aux genoux ».