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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/53

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Les Allemands firent de même[1] et ils entrèrent en Romanie[2] et pendant quatre jours ils marchèrent au delà de Nicée[3] et trouvèrent un château appelé Exerogorgo[4], vide de toute garnison. Ils s’en emparèrent et y trouvèrent des provisions de froment, de vin, de viande et toute sorte de biens en abondance.

Les Turcs, apprenant que les chrétiens occupaient ce château, vinrent l’assiéger[5]. Devant la porte du château était un puits et, au pied du château, une source d’eau vive, près de laquelle Rainald se posta pour tendre une embuscade aux Turcs. Ceux-ci arrivèrent le jour de la fête de saint Michel[6], trouvèrent Rainald ainsi que ses compagnons et en massacrèrent un grand nombre, tandis que les autres se réfugiaient au château. Les Turcs l’assiégèrent aussitôt et le privèrent d’eau. Et les nôtres souffrirent tellement de la soif qu’ils ouvraient les veines de leurs chevaux et de leurs ânes pour en boire le sang ; d’autres lançaient des ceintures et des chiffons dans les latrines et en exprimaient le liquide dans leurs bouches ; quelques-uns urinaient dans la main d’un compagnon et buvaient ensuite ; d’autres creusaient le sol humide, se couchaient et répandaient de la terre sur leur poitrine, tant était grande l’ardeur de leur soif[7]. Les évêques et les prêtres réconfortaient les nôtres et les exhortaient à tenir ferme.

  1. Contrairement à l’interprétation d’Hagenmeyer (édition des Gesta, p. 116), il faut admettre que les Allemands élisent un autre chef que Rainald, car plus loin il est question de ce chef, « le seigneur des Allemands » qui trahit les siens.
  2. La « Romanie » était le nom que les Turcs donnaient à l’Asie Mineure (sultanat de Roum) ; les Grecs désignaient ainsi la totalité de l’empire.
  3. Nicée est la résidence du sultan turc depuis 1081.
  4. Xerigordo, d’après Anne Comnène, X, 6, p. 77. Le récit d’Albert d’Aix, I, 16, p. 284, donne des détails un peu différents.
  5. Anne Comnène (loc. cit.) donne le nom du chef turc, Elchanis. Albert d’Aix (loc. cit.) et la chronique de Zimmern (Archives de l’Orient latin, t. I, p. 27-28) croient à tort que Soliman a dirigé ce siège en personne.
  6. 29 septembre 1096.
  7. Ces détails, empruntés certainement au récit d’un témoin oculaire, ne se trouvent que dans notre texte et ses imitateurs.