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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/69

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Tancrède[1], l’ayant appris, revint sur ses pas, se jeta dans le fleuve et parvint en nageant à rejoindre ses compagnons ; deux mille hommes se jetèrent aussi dans le fleuve et suivirent Tancrède. Ils trouvèrent des Turcoples et des Petchénègues qui combattaient contre les nôtres, les attaquèrent soudain avec courage et en vinrent à bout, puis ils en prirent un certain nombre et les amenèrent tout liés en présence du seigneur Bohémond[2], qui leur dit : « Pourquoi, malheureux, massacrez-vous l’armée du Christ, qui est aussi la mienne ? Je n’ai pourtant aucune querelle avec votre empereur. » À quoi ils répondirent : « Nous ne pouvons pas agir autrement : nous nous sommes loués à la solde de l’empereur, et tout ce qu’il nous ordonne il nous faut l’accomplir[3]. » Bohémond leur permit de se retirer impunis.

Cette bataille eut lieu le quatrième jour de la semaine qui marque le début du carême[4]. Que Dieu soit béni en toutes choses ! Ainsi-soit-il !


[DEUXIÈME RÉCIT]
[De la bataille du Vardar à la prise de Nicée
(18 février-19 juin 1097)
]

[5.] Le misérable empereur envoya en même temps que nos ambassadeurs[5] l’un des siens qu’il avait en grande affection et que l’on appelle curopalate[6], afin qu’il nous condui-

  1. Tancrède, fils d’Eude le Bon, marquis et neveu par sa mère de Robert Guiscard, paraît avoir été le principal lieutenant de Bohémond : « Obtentum est, ut sub Boamundo ipse, quasi dux sub rege, secundus ab eo militaret… » (Raoul de Caen, 3, p. 607).
  2. Cf. Raoul de Caen, 3, p. 607-610.
  3. Cette réponse de vrais mercenaires n’était sans doute pas conforme aux véritables instructions de l’empereur.
  4. Le mercredi des Cendres, 18 février 1097.
  5. Albert d’Aix (II, 14, p. 309) parle bien d’une ambassade de Bohémond, mais dénature les faits en supposant qu’elle avait été envoyée à Godefroi de Bouillon pour lui proposer de détruire l’empire.
  6. Le mot latin corpalatius est une corruption de « curopalate », une des plus hautes dignités de la hiérarchie impériale. Il semble que, dans la pensée de l’Anonyme, curopalate est synonyme du terme occidental palatin et signifie un agent de l’empereur, sans préciser davantage. Les textes byzantins ne montrent jamais ce titre appliqué à de simples fonctionnaires, mais à des princes de la famille impériale ou à des rois vassaux de l’Empire.