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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/73

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venait tout joyeux à la rencontre du seigneur Bohémond en nous apportant d’abondantes provisions[1]. Nous y dressâmes nos pavillons le mercredi avant la Cène du Seigneur[2]. , Bohémond laissa toute son armée et poursuivit sa route vers Constantinople afin de s’aboucher avec l’empereur, emmenant avec lui un petit nombre de chevaliers[3]. Tancrède demeura à la tête de la milice du Christ. Voyant les pèlerins acheter des mets, il se promit à part soi d’abandonner la grand’route et de conduire le peuple dans un endroit où il pût vivre largement. Il pénétra dans une vallée pourvue de toute espèce de biens convenables à la nourriture du corps et nous y célébrâmes la Pâque du Seigneur en grande dévotion[4].

[6.] L’empereur, informé que le très honorable Bohémond était venu à lui, donna l’ordre de le recevoir avec honneur et de le loger avec égards hors de la ville[5]. Après son installation, il lui fit demander de venir conférer avec lui en secret. À cet entretien prirent part aussi le duc Godefroi et son frère[6], puis le comte de Saint-Gilles approcha de la cité[7]. L’empereur, anxieux et bouillant de colère, se demandait comment il pourrait, par ruse et par fraude, venir à bout de ces soldats du Christ[8] ; mais, par la grâce divine, ni

  1. Douze jours plus tard, l’armée des Provençaux passe au même endroit, prend la ville d’assaut et la met à sac (Raimond d’Aguilers, 2, p. 237). Rien ne montre mieux la différence entre la discipline des deux armées.
  2. Le mercredi saint, 1er avril 1097.
  3. Ce départ précipité achève de dévoiler le dessein politique de Bohémond, qui, il ne faut pas l’oublier, avait été auparavant un des ennemis les plus redoutables de l’empire. Au sujet de la sévérité avec laquelle la démarche de Bohémond est jugée par Tancrède, voir Raoul de Caen, 10-11, p. 612-613.
  4. Le 5 avril 1097.
  5. Il fut logé comme les autres Latins près du monastère des saints Côme et Damien (Cosmidion), non loin des Blachernes (Anne Comnène, X, 9-11, p. 86, 96). Cf. Ebersolt, Sanctuaires de Byzance (1921), p. 98.
  6. En contradiction avec Anne Comnène (X, 11, p. 95-97), d’après laquelle Alexis voulut voir Bohémond avant qu’il se fût concerté avec les autres chefs.
  7. Raimond de Toulouse avait quitté son armée à Rodosto, appelé par l’empereur et les chefs croisés (Raimond d’Aguilers, 2, p. 237).
  8. Même partialité à l’égard de l’empereur, qui se trouvait en fait dans une situation très critique.