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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/89

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Le premier jour de notre départ de la ville[1] nous atteignîmes un pont et nous y restâmes deux jours. Le troisième jour, les nôtres se levèrent avant l’aurore et, comme il faisait encore nuit, ils n’y virent pas assez pour tenir le même chemin et se partagèrent en deux corps, qui furent séparés par deux jours de distance[2]. Du premier corps firent partie Bohémond, Robert de Normandie, le sage Tancrède et beaucoup d’autres ; dans le second corps étaient le comte de Saint-Gilles, le duc Godefroi, l’évêque du Puy, Hugue le Mainsné, le comte de Flandre et beaucoup d’autres[3].

Le troisième jour, les Turcs attaquèrent violemment Bohémond et ses compagnons[4]. Aussitôt les Turcs commencèrent à grincer des dents, à pousser des huées et des cris retentissants, répétant je ne sais quel mot diabolique dans leur langue[5]. Le sage Bohémond, voyant ces innombrables Turcs poussant au loin des clameurs et criant d’une voix démoniaque, fit aussitôt descendre les chevaliers de leurs montures[6] et dresser rapidement les tentes. Avant que les tentes fussent dressées, il répéta à tous les chevaliers : « Sires et vaillants chevaliers du Christ, voici que de tous côtés nous attend une bataille difficile. Que tous les chevaliers aillent donc droit devant eux avec courage et que les piétons dressent prudemment et rapidement les tentes[7]. »

  1. Le 28 juin d’après Raimond d’Aguilers (3, p. 240) et Anselme de Ribemont (lettre I, dans Epistulae et chartae, p. 145), le 29 d’après Foucher de Chartres (I, 11, p. 334). En revanche, tous les textes placent la bataille de Dorylée le 1 juillet. Les divergences proviennent de ce que les étapes ne furent pas les mêmes pour toutes les bandes.
  2. Ce détail montre la pénurie des renseignements dont disposaient les croisés. Raimond d’Aguilers (3, p. 240) accuse Bohé- mond de s’être écarté avec témérité. Albert d’Aix (p. 328-329) voit dans cette division une nécessité de ravitaillement.
  3. Anselme de Ribemont et Foucher de Chartres placent le comte de Flandre dans la division de Bohémond.
  4. Le nom du champ de bataille, Dorylée, aux environs d’Eski-Cheïr actuel, n’est donné que par Anne Comnène (XI, 3, p. 111). Raimond d’Aguilers et la Chronique de Saint-Pierre du Puy (p. 163-164) l’appellent Campus Floridus, le « Champ-Fleuri ».
  5. Probablement le cri de guerre traditionnel : « Allah akbar » (Dieu est grand !), dont Raoul de Caen (40, p. 636) fait « Allachibar ».
  6. Le mot descendere dont se sert ici l’Anonyme est employé plusieurs fois par lui dans le sens de « descendre de cheval ».
  7. Rien ne montre mieux le rôle subordonné dévolu aux piétons dans les armées de cette époque.