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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/93

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dans lequel, après avoir loué Dieu et pris conseil, nous disions : « Soyez de toute manière unanimes dans la foi du Christ et dans la victoire de la sainte croix, car aujourd’hui, s’il plaît à Dieu, vous deviendrez tous riches. »

Sur-le-champ nos batailles furent ordonnées. À l’aile gauche étaient le sage Bohémond, Robert de Normandie, le prudent Tancrède, Robert d’Ansa et Richard du Principat ; l’évêque du Puy dut s’avancer par une autre hauteur, afin de cerner les Turcs incrédules[1]. À l’aile gauche aussi chevauchait le très vaillant chevalier Raimond, comte de Saint-Gilles. À l’aile droite étaient le duc Godefroi, puis le vaillant chevalier qu’était le comte de Flandre et Hugue le Mainsné et plusieurs autres dont j’ignore les noms.

À l’approche de nos chevaliers, les Turcs, les Arabes, les Sarrasins, les Angulans[2] et tous les peuples barbares s’enfuirent aussitôt rapidement à travers les défilés des montagnes et les plaines. Le nombre des Turcs, des Persans, des Pauliciens[3], des Sarrasins, des Angulans et autres païens s’élevait à 360 000, sans compter les Arabes, dont nul, si ce n’est Dieu, ne connaît le nombre[4]. Ils s’enfuirent avec une vitesse extraordinaire jusqu’à leurs tentes, mais ils ne purent y demeurer longtemps. Ils reprirent leur fuite et nous les poursuivîmes en les tuant pendant tout un jour ; et

  1. Sur le rôle d’Adémar de Monteil dans cette bataille, voir la Chronique de Saint-Pierre du Puy, p. 163-164.
  2. On ignore s’il s’agit d’un peuple ou d’un corps de troupes ainsi désigné à cause de son armement. Au ch. XXI, l’Anonyme les montrera entièrement couverts de fer. De même Guibert de Nogent, V, 8, p. 189-190.
  3. Bien que l’État des Pauliciens ait été détruit en 872 par Basile Ier, leurs doctrines se sont perpétuées en Europe dans celles des Bogomiles et, en Asie, dans un certain nombre de sectes, telles que les Christopolites de Phrygie, mentionnés au xie siècle (voir le témoignage d’Euthymios Zigabenos publié par Cumont dans la Byzantinische Zeitschrift, ann. 1903, p. 582) ; persécutées dans l’empire, ces sectes s’étaient réfugiées en territoire musulman. Les Pauliciens (sous le nom de Publicani) sont mentionnés par Étienne de Blois dans une de ses lettres (Epistulae et chartae, p. 150).
  4. Chiffre sans valeur, de même que celui d’Anselme de Ribemont (lettre dans le recueil des Epistulae et chartae, p. 145), qui donne 260 000 Turcs. La formule « dont nul, si ce n’est Dieu, ne connaît le nombre » est courante dans la langue ecclésiastique.