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Nous ignorons la décision du Sénat ; mais, en 1725, dom Guichon occupait encore la sacristie de Saint-Innocent, et, dans la visite qu’Arsène de Jouglas fit à Hautecombe, le 11 mars de cette même année, il ordonna à dom Guichon, de la part de l’abbé de Clairvaux, de se retirer de Saint-Innocent, et il le remplaça par dom Dorlier.

L’abbé Marelli n’abandonna pas son protégé. De concert avec dom Dadaz, prieur d’Hautecombe, il recourut au Sénat qui ordonna, par arrêt du 30 juin, que, provisoirement, l’office de sacristain et les revenus en dépendant seraient séquestrés ; que dom Dorlier serait invité à se retirer à Hautecombe et que l’abbé commendataire serait exhorté à nommer, par provision, un prêtre séculier à Saint-Innocent pour y remplir les fonctions de sacristain. Cet état transitoire dura deux ans, à l’expiration desquels révérend Michel Chapelle, sacristain provisoire, fut remplacé par le même dom Guichon, renommé par l’abbé Marelli, avec l’agrément du prieur[1].

Ainsi se termina cette lutte prolongée, dont l’auteur du Lutrin eût fait son profit.

En dehors de ces querelles intérieures, l’ancienne abbaye ne donnait presque plus signe de vie. Elle n’avait point été réveillée de sa torpeur morale et n’avait reçu aucune impulsion nouvelle par la publication du bref d’Alexandre VII, dont nous devons parler ici.

Cet acte important dans l’histoire de l’ordre cistercien vint consacrer et approuver de nombreuses mitigations à la règle primitive, introduites peu à peu dans la plus grande partie des monastères et dégénérant souvent en un véritable abandon de la vie monastique. De fervents religieux les avaient souvent combattues et s’étaient efforcés, par leur exemple et leur conseil, de faire revivre l’austérité de saint Robert et de saint Bernard ; mais leurs efforts n’avaient abouti qu’à des résultats partiels. Après Jean de La Barrière, qui opéra, en 1574, une régénération merveilleuse dans l’abbaye des Feuillants, en Languedoc, et ramena à la règle primitive un grand nombre de monastères, ce fut Octave Arnolfini, abbé de la Charmoye, promoteur de l'Étroite-Observance, réforme, qui prit de la consistance en 1618, quand Denis de Largentier, abbé de Clairvaux, l’eut embrassée ; puis apparut l’abbé de Rancé, fondateur des Trappistes, dont les constitutions, introduites à Tamié en 1677, se rapprochent plus que toutes les autres de celles observées originairement à Cîteaux[2].

Le retour de la communauté de Clairvaux aux anciennes traditions attira après elle un certain nombre de monastères compris dans sa filiation. Ceux de la Savoie résistèrent ; ils conservèrent, avec la plus grande partie des abbayes de l’Ordre, les habitudes commodes que le temps avait consacrées et qui, rectifiées et réglées par le bref d’Alexandre VII, devinrent la Commune-Observance.

Par ce bref, les statuts de saint Benoît étaient adoucis sur presque tous les points. Au lieu de faire abstinence perpétuelle, les religieux de la Commune-Observance mangeaient de la viande, à l’un de leurs repas, trois jours de la

  1. Reg. eccl., t. V. — Le séquestre dura du 30 juin 1725 au 22 mars 1727.
  2. Ce fut pendant les luttes entre les religieux de l’Étroite-Observance et ceux qui la repoussèrent, que de Rancé, trouvant les règles de cette réforme encore trop éloignées de celles de Saint-Benoit, se mit avec ardeur à la régénération de son abbaye de la Trappe, en 1662, trois ans avant que le chef de l’Église eût sanctionné les deux Observances. (Burnier, Hist. de Tamié. — L’abbé Martin, Les Moines dans le passé et dans l’avenir.)