Page:Hoche, Le faiseur d'hommes et sa formule, Librairie Félux Juven, 1906.djvu/22

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— À table ! me dit-elle sur un ton de presque bonne humeur.

Et je la louai non seulement d’avoir conservé de l’appétit dans de telles conjonctures mais aussi d’avoir poussé la condescendance jusqu’à apprêter elle-même et disposer sur une serviette blanche jetée par-dessus la banquette centrale du canot les conserves dont se composait notre menu.

— Je ne suis pas une femme comme les autres, consentit-elle un peu naïvement.

Parbleu ! à qui le disait-elle ?

Éternelle magie du ciel tropical ! à mesure que les ténèbres s’épaississaient autour de la ceinture de flammes qui nous protégeait, nous glissions à une torpeur, à une sécurité profonde que nous versait la tranquille clarté des étoiles, le silence soudain, comme religieux, de l’immensité nocturne.

Nous avions abandonné les reliefs de notre dîner à un grand singe roux qui s’enhardit jusqu’à braver la ligne de feu. Ses gambades égayèrent beaucoup ma femme ; quant à moi, je goûtai fort aussi son audace et ses familiarités, mais non sans me demander si elles n’impliquaient pas l’absence de toute humanité dans l’île. Je me gardai bien au reste de faire part de ces ré-