Page:Hoche, Le faiseur d'hommes et sa formule, Librairie Félux Juven, 1906.djvu/74

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m’ouvrir les yeux, d’éclaircir mes doutes, mes pressentiments… Je sais aujourd’hui qu’une existence comme la nôtre ne mérite pas qu’on se donne la peine de la vivre…

Tout en soliloquant ainsi, le malheureux était tombé assis, le front dans la main, devant le volume où il avait puisé tous ces ferments de révolte. Ses yeux demeuraient secs, son organisme ne comportant point sans doute la sécrétion lacrymale, mais un rictus amer plissait ses joues imberbes, crispait ses temporaux et ses maxillaires, suscitait une image de détresse plus saisissante que celle d’un homme en pleurs. Son naturel taciturne semblait au reste épuisé par cet effort oratoire, car il ne prononça plus une syllabe.

Impuissant à lui offrir aucune consolation, ne soupçonnant que confusément d’ailleurs la cause réelle de son émoi, je me contentai de lui serrer la main affectueusement, puis je le quittai, presque joyeux à l’idée que les ailes de cauchemar demeurées éployées au-dessus de notre ciel de lit imaginaire — car nous dormions en plein air sur la terrasse de notre case — allaient enfin cesser de battre.