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843 ALEXANDRE (Princes anciens, ROME) 844
que naquit Alexandre, qui prit d’abord le nom d’Aurèle Alexien, porté par son grand-père paternel. On lui donna plus tard le nom d’Alexandre, dit Lampride, parce qu’il était né le jour anniversaire de la mort d’Alexandre le Grand, dans un temple consacré à ce héros. Ayant perdu son père lorsqu’il était encore en bas âge, il fut élevé par sa mère Julia Mammea, femme d’une grande énergie, qui non-seulement le guida de ses conseils, mais lui fit donner par les meilleurs maîtres une éducation distinguée, dirigée à la fois vers l’étude des belles-lettres et la science des armes. Il n’avait que dix ans lorsque son cousin Élagabale, fils de Julia Sœmis, fut proclamé empereur par les troupes ; et l’année suivante (de J.-C. 219) il l’accompagnait à Rome, où deux ans plus tard il fut adopté par lui et reçut le titre de César. Dès lors ses inclinations parurent toutes différentes de celles du prince impudique qui avait trouvé le moyen de vaincre en débauches tous ses prédécesseurs, et dont il s’attira la haine par l’énergie avec laquelle il repoussa les tentatives faites pour le corrompre. Aussi Élagabale ne tarda-t-il pas à se repentir de cette adoption, et, familiarisé avec le crime, il voulut se défaire de son jeune parent. Maîtres, officiers, serviteurs, furent engagés par des promesses à se charger secrètement d’un meurtre dont l’empereur n’osait prendre hautement la responsabilité : tous se montrèrent incorruptibles. D’ailleurs Mœsa, l’aïeule de l’Auguste et du César, défendait l’un de ses petits-fils contre la perfidie de l’autre ; si bien que, se voyant démasqué, Élagabale eut recours à la violence, et cassant l’adoption d’Alexandre, le fit mettre au ban du sénat, tandis qu’il envoyait des bourreaux chargés de le mettre à mort. Le sénat tout en gémissant, enregistra l’acte de déchéance ; mais les soldats se montrèrent moins résignés : courant en armes au palais, ils forcèrent le tyran à jurer qu’il respecterait les jours de ce César dont les naissantes vertus annonçaient au peuple romain un meilleur avenir. Élagabale prêta le serment qu’on lui demandait, et le viola bientôt. Deux fois encore la vie d’Alexandre fut menacée ; deux fois l’affection de l’armée le sauva de la mort ; et, à la dernière tentative, Élagabale ayant péri sous les coups des prétoriens, Alexandre lui succéda (an de J.-C. 222).

Jamais avènement, depuis la fondation de l’empire, n’avait été accueilli par des acclamations plus joyeuses et plus unanimes. Lampride nous a transmis, d’après les registres du sénat, le récit de la séance où Alexandre crut devoir refuser le nom d’Antonin et le titre de Grand, que voulaient lui conférer les sénateurs immédiatement après son élection. Cette page est curieuse pour l’histoire du temps, et nous prouve à quel point les formes adulatrices avaient passé dans le langage officiel du premier corps de l’Etat quand il s’adressait à l’empereur, fût-il un enfant. Alexandre-Sévère avait alors qua-

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torze ans à peine. On était à la veille des nones de mars ; le sénat était réuni dans le temple de la Concorde, lieu habituel de ses séances. Alexandre, invité à s’y rendre, avait refusé d’abord : il savait qu’il était question de lui décerner des honneurs inusités. Mais de nouvelles instances ayant triomphé de sa modestie, il parut au milieu de l’assemblée, qui le salua aussitôt du nom vénéré d’Antonin : « Antonin-Alexandre, s’écrie-t-on, que les dieux vous protègent ! Antonin-Aurèle, que les dieux vous protègent ! Antonin le Pieux, que les dieux vous protègent ! Nous vous supplions de prendre le nom d’Antonin. Rendez cet hommage aux bons empereurs, de porter le nom d’Antonin. Purifiez le nom des Antonins : un monstre l’a souillé, c’est à vous de le purifier. Réhabilitez l’honneur du nom des Antonins ; que le sang des Antonins se renouvelle en vous ! En vous est notre salut ; en vous est notre vie ; en vous est notre félicité. De longs jours à Alexandre Antonin ! notre bonheur est à ce prix. Que ce soit un Antonin qui consacre les temples des Antonins ; que le nom d’Antonin soit restitué à la monnaie ; que ce soit un Antonin qui triomphe des Parthes et des Perses. Qu’étant sacré lui-même, il porte un nom sacré ; que, chaste et pur, il porte un nom vénéré ; à vous le nom d’Antonin ! Que les dieux vous conservent ! Nous avons tout en vous, Antonin ; par vous nous avons tout ! » — « Pères conscrits, répondit Alexandre, grâces vous soient rendues du titre d’Auguste, de celui de souverain pontife, de la puissance tribunitienne et du pouvoir proconsulaire, que par un exemple tout nouveau vous m’avez conférés en un seul jour ; mais ne m’imposez pas le dangereux honneur de soutenir l’éclat d’un grand nom qui serait un pesant fardeau pour mes mérites. Que diriez-vous d’un Varron ignorant ou d’un Cicéron sans éloquence ? Antonin le Pieux donna son nom à Marc-Aurele par droit d’adoption ; Commode le reçut à titre d’héritage ; Élagabale s’en empara, tout indigne qu’il en était : il serait ridicule à moi de le porter. » Ainsi repoussés dans leur première tentative, les sénateurs donnèrent une autre forme à leur servilité. Alexandre se vit salué du nom de Grand, comme le héros de Macédoine : « Grand Alexandre, que les dieux vous protègent ! Vous avez refusé le nom d’Antonin, recevez de nous le nom de Grand. Salut au grand Alexandre ! » Cette fois encore le jeune empereur triompha de l’instinct adulateur du sénat : « Il m’eût été plus facile, répondit-il, d’accepter le nom d’Antonin que le titre de Grand. Qu’ai-je fait de grand jusqu’à ce jour ? Le vainqueur de Darius n’a pris ce nom qu’après d’éclatants exploits, Pompée qu’après de nombreux triomphes. Calmez vos transports ; et si vous voulez m’honorer comme je le désire, ouvrez-moi vos rangs ; que je sois un des vôtres : voilà le titre que j’ambitionne (1)[1]. »
  1. (1) Ælius Lampride, Vie d’Alexandre, chap. vii.