Page:Hoefer - Biographie, Tome 26.djvu/422

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Seize ans après, en 1298, la canonisation de saint Louis ayant été prononcée par Boniface VIII, Joinville s’empressa de faire bâtir dans sa chapelle un autel sous l’invocation de son ancien maître et ami , dont il voulut par ce monument éterniser la mémoire; mais c’est par ses écrits qu’il l’a transmise bien plus sûrement aux siècles les plus reculés.

Le souvenir de saint Louis resta toujours tellement présent au sire de Joinville , que, même en songe, il croyait le voir encore et converser avec lui ; il nous rapporte même la réponse bienveillante que lui fit, dans l’un de ces songes, le roi, qui souvent lui semblait se plaire à apparaître au château de Joinville. — « Quand je me esveillai , je m’apensai ( réfléchis ) et me sembloit que il plésoit à Dieu et à li que je le hébergeasse en ma chapelle, et si je ai fait; car je li ai establi un autel en l’honneur de Dieu et de li , et y a rente perpétuellement establie pour le faire. Et ces choses ai-je ramentues (rappelées ) à monseigneur le roi Looys ( Hutin ), qui est héritier de son nom ; et il me semble


Joinville, né en 1224, avait à cette époque cinquante-sept ans. Le mot environ laisse, il est vrai, une certaine latitude, et peut-être le confesseur voulut-il flatter le guerrier en dissimulant ainsi son âge , ou bien y a-til quelque erreur de chiffre? Si Joinville n’avait eu alors que cinquante ans, il faudrait rapprocher la date de sa naissance de sept années, c’est-à-dire le faire naître en 1231 ; mais alors il n’aurait eu que neuf ans en 1241, lorsqu’il tranchait devant le roi à Saumur, et il se serait marié à huit ans.

Il est toutefois présumable qu’en cette circonstance Joinville omit de rappeler une conversation remarquable du roi avec les prélats et cardinaux; elle frappa tellement Joinville, qu’il en a fait mention deux fois dans ses Mémoires. Voici le premier de ces deux récits.

« Je revis une autre fois le roi à Paris , alors que tous les prélats de France lui mandèrent qu’ils vouloient lui parler; le roi se rendit au palais pour les entendre. Là étoit le fils de monseigneur Guillaume de Mcllo, l’évêque Guy d’Auxerre, qui parla ainsi au roi : « Sire, ces seigneurs ici présents, archevêques et évêques, m’ont chargé de vous dire que la chrétienté périt en vos mains. » Le roi se signa, et dit : « Or dites-moi comment cela peut-il être ? « — « Sire, reprit l’évêque, c’est qu’on fait si peu de cas aujourd hui des excommunications, que les gens se laissent mourir excommuniés avant que de se faire absoudre, et ne veulent satisfaire à l’Église. Ils voas requièrent , au nom de Dieu et de votre devoir, que vous commandiez a vos prévôts et baillis que tous ceux qui resteront excommuniés un an et un joursoient contraints par la saisie de leurs biens à se faire absoudre. » Le roi répond!

tqu’il en donnerait volontiers l’ordre à tous ceuxqu’on 

lui prouverait être dans leur tort. L’évêque dit que l’Eglise ne consentirait jamais à ce que la cour connût de semblables matières, qui la concernaient seule; mais le roi répondit qu’il ne feroit point autrement : car ce saroit contre Dieu et contre raison s’il contraignait les gens à se faire absoudre par les clercs , lorsque ce seraient les clercs qui leur auraient fait tort. « Et à ce sujet, ajouta le roi, je vous donnerai pour exemple, entre autres, le comte de Bretagne, qui a plaidé sept ans contre les prélats de Bretagne, tout excommunié qu il étoit, et a tant exploité, que le pape les a condamnés tous. Donc , si j’eusse contraint dés la première année le comte de Bretagne â se faire absoudre , j’eusse méfait envers Dieu et envers lui. » Les prélats se continrent , et depuis je n’ai Jamais ouï dire que de semblables demandes aient été réitérées.

qu’il fera le gré Dieu et le gré nostre saint ro Looys, s’il pourchassoit (envoyait) des reli ques le vrai corps saint ( de son vrai corps ) , «  les envoyoit à laditte chapelle de saint Lauren à Joinville; pourquoi cil qui viendront à sa autel yauront plus grand dévotion. » En 1287, une messe commémorative , an nuelle et perpétuelle, fut fondée en l’aveu de Joinville à l’église de Châlons, en recon naissance de la donation d’un précieux reli quaire qui renfermait une partie du chef d saint Etienne , patron de cette église. Le caractère hautain de Philippe le Bel n pouvait trouver chez Joinville aucune sympa thie, et ses mesures arbitraires rencontrèrei dans le sénéchal de Champagne un contradii teur et un adversaire : aussi en 1287 Joinvili fut exclu des assemblées de Champagne p; Philippe le Bel, et n’y reparut qu’en 1291 mais il n’y occupa plus que la sixième place. Ct I pendant, quoiqu’en défaveur, il reçut du roi e,’ 1300 la mission de conduire en Allemagne s sœur, qu’il venait de marier au duc d’Autrichi et l’année suivante il accompagna en Flandre roi et la reine ( du 28 avril au mois de juillet de tous les grands-officiers de leur suite, il fi|j le seul qui eût un écuyer (1).

En 1303, le roi, pour réparer le désastre ( la bataille de Courtrai, convoqua la nobles! du royaume : Joinville se rendit à Arras, où si réunissait celle de Champagne , avec son neve ; Gauthier de Vaucouleurs et l’un de ses parent: surnommé Troiiillart.

En 1308, les religieux de Saint-Urbain, so à l’instigation du roi, soit enhardis par la di; grâce que Joinville avait encourue par son oj position, obtinrent enfin d’être placés sous i ! garde de Philippe le Bel et de se soustraire ain à l’autorité de Joinville (2). Il est à croire qu’e toute autre circonstance leur demande eût été rt jetée. Déjà plusieurs fois les religieux, peu re connaissants de tout ce qu’avaient fait en 1er. faveur Joinville et ses ancêtres, avaient lente d se soustraire à la domination de ces seigneurs mais ils avaient vu leurs prétentions repoussée par saint Louis. « Ainsi , nousdit Joinville , l’abb Geoffroi de Saint-Urbain , après ce que je avoi fait pour lui, me rendit le mal pour le bien, ( appela contre moi, et fit entendre au saint n qu’il estoit en sa garde, et non en celle des sei gneurs de Joinville. » Le roi, après avoir écout l’abbé et le sire de Joinville, dit qu’il ferait exa miner l’affaire pour savoir la vérité; « et, li (1) L’itinéraire de ce voyage, inscrit sur des tablette enduites de cire, se trouve à la Bibliothèque impériale d Paris. L’écriture en est encore bien conservée. (2) Voici ce qu’on lit dans un cartulaire : « En 130! une sentence du bailli de Chauniont oblige Jean sire d Joinville, à remettre la garde de l’abbaye de Saint-Urbai; à Philippe le Bel, à cause de son comté de Cham pagne, les seigneurs de Joinville n’ayant pas discontinu de vexer les religieux, qui ne voulurent plus les recon naître comme avoués. »