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PIRON

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Quelques années avant cette époque , il s’était lié, à Dijon, avec de joyeux compagnons ée son âge ; et c’est alors qu’il commit l’impiété littéraire dont l’ombre fatale s’est projetée sur 1 toute sa vie. Mais n’y a-t-il pas un peu d’exa- ’ gération et de parti pris dans le jugement qu’on ! porte en général contre lui à cet égard ? Sans : doute, il a composé une Ode Irès-répréhensible, qui a le malheur d’être écrite avec talent ; mais il était alors âgé de vingt ans, c’esl-à-dire dans toute l’elfervescence de la jeunesse et du tempérament ; il avait été défié à la lutte par son jeune ami Jehannin, le joyeux sybarite par excellence, et, comme il nous l’apprend lui-même ; Il ne mit à l’hyrane folle,

Jeunesse et vin de concert.

Que le temps de la parole

Ut que celui du dessert.

C’est donc une débauche d’esprit et de table, une véritable surpiise des sens que cette composition qui fit dire àFontenelle, lors de la candidature de notre poëte à l’Académie : « Si Piron a fait la fameuse Ode, il faut bien le gronder, mais l’admettre ; s’il ne l’a pas faite, fermonslui notre porte. » Notre siècle s’est montré plus sévère que Fontenelle, et si nous ouvrons notre porte à Piron, c’est une porte dérobée. Et cependant il a expié ce moment d’erreur, pour parler son langage, par soixante ans d’une vie irréprochable et un repentir sincère et public (1). Une nouvelle circonstance atténuante en sa faveur, c’est que cette ode n’était pas destinée à la publicité : l’auteur avait prié son ami de la jeter au feu ; mais Jehannin ne tint pas compte de cette recommandation ; il communiqua la pièce à quelques jeunes conseillers du parlement, ses collègues, qui en prirent des copies, la répandirent à profusion et la lurent même au président Bouhier, auquel elle fournit l’occasion d’exercer un genre d’abnégation qui mérite d’être rapporté. Le scandale était à son comble ; le procureur général avait mandé Piron, qui, saisi d’effroi , était accouru chez Jehannin pour lui adresser des reproches. Celui-ci se rendit en toute hâte chez le [jrésideiit Bouhier, dont il implora l’appui, et qui conseilla à Pii-on de désavouer son ode devant le procureur général. « Si le ministère public insiste, ajouta le président Bouhier, je vous autorise à déclarer que j’en suis l’auteur ; l’affaire en demeurera là. » A ce nom respectable, le procureur général se mit à sourire, renvoya Piron, en l’exhortant à mieux employer ses talents.

En vue de mettre à profit cette recommandation, et obéissant d’ailleurs à la dure loi de la nécessité, Piron se rendit bientôt à Paris ; mais avant de quitter Dijon l’occasion s’offrit d’exeicer sa verve caustique, et il s’empressa de la saisir. Je veux parler de sa fameuse querelle avec les ha- (1) rot/, la préface de //t Métromanie et sa lettre à lAcadémle publiée in extenso dans ses OEuvres inédites, p. 309 de IVdit. ln-8°, el 337 de l’éd. In- 12. bitants de la petite ville de Reauue, querelle q donna lieu à un feu croisé de chansons et ( couplets de toutes sortes, espèce de tournoi li féraire où les armes furent peu courtoises de pa et d’autre. La guerre éclata entre eux à la sui d’un prix remporté, en 1715, par les chevalie de l’arquebuse de Beaune sur ceux de Dijon. 1 Bourgogne, on appelait alors les Beauiiois 1 ânes de Beaune parce que , d’après Juvign ces animaux y étaient très-beaux et fort con muns. Mais Chevignard de la Pallue, dans dei petites brochures devenues fort rares, intiti lées : l’une , Les Anes de Beaune, l’autre, L frères Lasne, anciens commerçants de Beaun prétend que le nom et la bonne réputation i ces riches négociants ont donné naissance ; sobriquet qui est resté à leurs compatriott Quoi qu’il en soit de son origine, Piron exploi ce sobriquet, de la manière la plus plaisant Se promenant un jour aux enviions de la vil il se mit à abattre du bout de sa canne tous 1 chardons qu’il rencontrait, en disant : « Je si en guerre avec les Beaunois ; je leur coupe 1 vivres. » Et comme on le menaçait de leur vt geance, il répondit du ton d’un héros de ti gédie :

Allez ; je ne crains point leur impuissant courroux,., Et quand je serais seul, je les bâterais tous. Le lendemain, au théâtre, un Beaunois apc tropba le public en s’écriant : <> Paix là ! M* sieurs ; on n’entend pas ! — Ce n’est pas fai d’oreilles, » reprit Piron. « Quelle pièce joue-tce soir ? » avait-il demandé en entrant. — Les F^ reurs de Scapin, » répondit gravement un jeui Beaunois. — « Ah ! merci, ripost a Piron, je croy ; que c’étaient Les Fourberies d’Oreste{). » Mais on ne vit pas de bons tnots, et cecomp réglé avec ses voisins , Piron partit pour Paw (1719), porteur pour toute ressource de deii lettres de recommandation qui lui avaient été i mises l’une par M. de Berbisey, premier préside ! de Dijon, l’autre par le marquis de Jlontmai Cette dernière était adressée aux deux beaui frères deM deMontmain, lecomte et le chevali de Belle-Isie, petits-fils de Fouquet. Piron av,^ alors trente ans. Après avoir été ballotté par r grands seigneurs , qu’il ne parvint pas même’ voir , notre poëte , grâce à une belle pièce d’éci turede sa main (2), fut enfin admis chez le clîl valier en qualité de copiste, moyennant quaraiii sous par jour. « Ce chevalier, dit Piron, aviv choisi, faute de mieux, le rôle de mystériev et de taciturne. » Ainsi que son frère, ce chl valier étudiait l’art de la guerre dans les m nuscrits indig( ?stes deM. de Houlainvilliers, , Piron fut chargé de mettre au net ce lourd gi ; moire. Le voilà installé dans un bouge de li (l)l,e Votiage de Piron ii Beaune a souvent ctii ii primé ; mais anounc des éditions connues n’est exacU Nous possédons la relation complète el aulogiaplie / ce voy.i !Je, que notre intention est de publier (2) P.ron avait une écriture ferme et régulière, au nette que le burin.