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PROCLUS

lori. Le malade demanda aux dieux l’explication de cet augure. Esculape lui parut alors en rêve, et examina soigneusement le pied du malade ; le lendemain le mal avait disparu. Proclus obtenait des guérisons miraculeuses par des amulettes, des prières et des paroles magiques ; il faisait, dit-on, naître la pluie, tempérait l’ardeur du soleil et calmait les tremblements de terre. La plupart de ses inspirations lui étaient transmises en songes ; il apprit par la même voie qu’il était un des anneaux de la chaîne Hermétique (σεῖρα ἑρμαϊκή), c’est-à-dire qu’il faisait partie de la série d’hommes consacrés par Hermès et destinés à recevoir des communications surnaturelles, et que son âme avait jadis animé le pythagoricien Nicomaque. Il fut, par le même moyen, averti du projet des chrétiens d’aller briser la statue de Minerve au Parthénon : une belle femme lui apparut en songe, et lui ordonna de préparer sa maison pour y recevoir la déesse.

Sincèrement attaché à la religion de ses ancêtres, Proclus demeura jusqu’à sa mort un adversaire déclaré du christianisme ; en restant ainsi fidèle à ses convictions, il exposait sa vie, à cette époque de réaction violente contre le culte des anciennes divinités. À l’instar des premiers chrétiens, les païens, persécutés depuis Constantin, ne pouvaient se livrer qu’en secret aux pratiques de leur culte. Les néoplatoniciens cachaient leur enseignement. Dénoncé pour avoir violé les lois des empereurs chrétiens, Proclus fut pour quelque temps banni d’Athènes. Après son retour, il devint plus circonspect, et ne communiquait plus les secrets de ses doctrines qu’à des disciples éprouvés dans des réunions anonymes (ἄγραφοι συνουσίαι), qui avaient lieu la nuit. Cette contrainte, unie à une conviction profonde, lui faisait souvent dire que s’il en avait le pouvoir il ne laisserait circuler de tous les écrits que les sentences des oracles et le Timée, Ainsi, l’intolérance régnait dans le camp des chrétiens aussi bien que dans celui des païens ; il ne faut donc pas s’étonner que dans ce déplorable état des esprits tant d’ouvrages de l’antiquité aient péri.

Proclus mourut à soixante-treize ans, et fut enterré près de Lycabatte. Au rapport de Marinus, il était d’une beauté rare et doué en même temps de grandes qualités morales. Il conserva l’usage de tous ses sens jusqu’à la fin de ses jours, bien que ses forces eussent été brisées par de nombreuses veilles et des pratiques d’ascétisme. À l’exception de quelques attaques de goutte ou de rhumatisme, il n’avait jamais été malade. Sa mémoire était prodigieuse, et il passait pour inspiré ; « quand il prononçait ses dogmes, dit son biographe, sa figure paraissait comme illuminée ». Suivant M. Cousin, Proclus avait concentré dans son système tous les rayons philosophiques émanés des plus grands penseurs de la Grèce, tels que Pythagore, Platon, Aristote, Zénon, etc. Cet éloge est évidemment exagéré : pour s’en convaincre il suffit de lire les œuvres mêmes de Proclus publiées par M. Cousin (Procli Diadochi Opera, e codd. mss. bibl. reg. Paris, tum primum edidit, lectionis varietate, vers. latina et commentariis illustravit ; Paris, 1820-1827, 6 vol. in-8o).

Les doctrines spiritualistes et mystiques de Platon avaient presque exclusivement fixé l’esprit de Proclus, comme l’attestent ses commentaires du Parménide (édit. Stallbaum ; Leipzig, 1840), du Timée (éd. E. Chr. Schneider ; Breslau, 1847), de l’Alcibiade (par Creuzer ; 1822), du Cratyle (Boissonade ; Leipzig, 1820), et son Institution théologique (στοιχειώσις θεολογικὴ)[1]. Proclus enseignait que la foi seule, qu’il distinguait bien de la certitude, peut conduire à la théurgie ; que celle-ci, comprenant la mantique et l’inspiration surnaturelle, est préférable à toute sagesse humaine ; que tout ce qui est engendré doit avoir une ressemblance déterminée avec ce qui engendre ; et que l’inférieur n’est en rapport avec le supérieur que par des êtres intermédiaires. C’est pourquoi les hommes ne communiquent, disait-il, avec l’Être suprême que par les démons, ce qui ne l’empêchait pas d’admettre que la Raison humaine est une parcelle de la Raison divine ou de l’Être suprême, qu’il appelait l’Un et le Premier. Il concevait les âmes incarnées si intimement liées entre elles que les fils devaient participer aux fautes de leurs pères, les sujets à celles de leurs souverains, et il partait de l’organisation de la famille, de l’État, des peuples pour arriver à la vraie solidarité de tous les membres de la famille humaine. Les âmes, il les supposait revêtues d’enveloppes plus ou moins déliées selon leur degré de perfection ou d’élévation.

L’Institution théologique est l’œuvre la plus importante de Proclus. Elle est surtout remarquable par sa méthode, empruntée aux géomètres. Ainsi, chacun des CCXI chapitres dont se compose l’Institution théologique contient en tête une proposition énoncée sous forme de théorème ; elle est suivie d’une démonstration en règle, et se termine quelquefois par divers corollaires. C’est un ouvrage essentiellement dogmatique. L’auteur commence par établir (chap. 1), que tout multiple (πλῆθος) participe de l’Unité (μετέχει τοῦ ἑνός) : il fonde sa démonstration sur ce que le multiple est toujours une quantité déterminée. Il s’engage ensuite dans des considérations fort obscures sur l’Unité et la multi-

  1. Les manuscrits de cet ouvrage ne sont pas rares dans les différentes bibliothèques de l’Europe. Le texte grec parut pour la première fois à Hambourg, en 1618. Creuzer l’avait reproduit avec d’autres écrits, sous le titre de : Initia philosophiæ ac theologiæ ex Platonis fontibus ducta, S. Procli et Olympiodori in Platonis Alcibiadem commentarii ; ex codd. mss. nunc primum græce edidit, itemque ejusdem Procli Institutionem theologicam integriorem emendatioremque adjecit, 4 vol.in-8o ; 1820-1825. Le 4e vol.  contient la Réfutation de l’Institution théologique, par Nicolas de Modon, publiée avec des notes de J.-F. Vœmel, 1825. Le texte et la trad. latine font partie de la Biblioth. gréco-latine d’A. F. Didot.