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Rutebeuf, comme narrateur, brille d’un vif éclat : c’est le fabliau. Celui qui nous paraît l’emporter sur tous les autres et par la conception et par le style, c’est Charlot le juif. La traduction qu’en a donnée Legrand d’Aussy est tout à fait décolorée et prouve qu’il n’a pas toujours compris le texte de l’auteur. La plupart de ses Complaintes historiques sont écrites d’un style rapide, chaleureux, élevén ; les rimes forcées, les jeux de mots, trop fréquents dans ses autres poésies, en sont généralement exclus. Ami de Guillaume de Saint-Amour, il plaide avec chaleur la cause de ce docteur persécuté[1]. C’est La Fontaine faisant entendre de courageux accents en faveur du surintendant Fouquet, avec infiniment moins de talent sans doute, mais avec plus d’énergie, comme on en peut juger par ces vers :

Qui escille homme sans reson.
Je di que Diex qui vit et regne
Le doit escillier de son regne,

Et il se hâte d’ajouter :

Mestre Guillaume ont escillié
Ou li rois ou li aposloles.

Il ne craint point du décocher ce trait :

Li sans (le sang) d’Abel requist juslice.

La pièce écrite tout entière, avec cette verve se termine ainsi :

Endroit de moi (quant à moi) vous puis ce dire :
Je ne redout pas le martire
De la mort, d’où qu’ele me viegne,
S’ele me vient pour tel besoigne.

Le rhythme chez Rutebeuf n’est pas moins varié que les sujets qu’il traite. Ses œuvres nous prouvent que dès le temps de saint Louis l’art de rimer était soumis à des règles assez nombreuses et assez compliquées. Si les sujets qu’il traite sont quelquefois grossiers, l’expression ne l’est jamais, sauf dans le Dit de l’Erberie, sorte de parade dans le goût de Tabarin. Une de ses pièces porte le titre singulier de la Mort ou la Repentance Rutebeuf ; elle est d’un ton sérieux, grave, nous dirions presque résigné et peut faire supposer qu’à l’imitation de plusieurs de nos anciens poëtes, il alla chercher dans le silence du cloître le repos qu’il n’avait pu trouver dans le monde. Suivant cette hypothèse, à laquelle les poëmes allégoriques et religieux écrits par Rutebeuf donnent un grand poids, la date de 1286, assigné par M. Jubinal comme celle de sa mort, serait l’époque de sa retraite. Quoi qu’il en soit, on a lieu de s’étonner de cette fin d’un rimeur qui se montre l’adversaire acharné des ordres religieux, des prélats, des clercs et de la cour de Rome.

P. Chabaille.

Cf. Fauchet, De l’origine de la langue et Poésie française, in-4o. — Legrand d’Aussy, notices et Extraits des manuscrits, t. V. — A. Jubinal, Œuvre complétes de Rutebeuf, 2 vol. in-8o. — P. Paris, Hist. litt. de la France, t. XX, — P. Chabaille, Journal des Savants, année 1839.

' ('), érudit hollandais, né le 28 août 1589, à Dordrecht, mort le 26 octobre 1625, à La Haye. Il eut pour premier maître Vossius, qui cultiva avec soin ses dispositions naturelles ; puis il se rendit à Leyde, où il suivit les leçons de Baudius, de Joseph Scaliger, et de Daniel Heinsius, qui devint son beau-frère. Étant venu en France (1611), il résida quelque temps à Paris chez l’helléniste Frédéric Morel, et prit à Orléans, par complaisance pour ses parents, le grade de licencié en droit. Il venait d’ajouter des notes à l’édition d’Horace publiée par Robert Estienne (Paris, 1613, in-8o) lorsqu’il retourna dans sa patrie ; sa mère, qu’il aimait tendrement, était morte, et cherchant dans le travail une distraction à sa douleur, il alla se faire recevoir avocat à La Haye. Une occasion s’offrit bientôt de renoncer à l’exercice d’une profession qui lui répugnait. L’ambassadeur de Suède lui ayant offert dans son pays une charge de conseiller d’État, Rutgers accepta et le suivit à Stockholm (1614) ; de là il passa en Livonie, où Gustave-Adolphe guerroyait contre les Russes, et reçut, à la recommandation d’Oxenstierna, un si bon accueil de ce prince qu’il résolut de s’attacher pour toujours à son service. Le reste de sa vie s’écoula en négociations et en ambassades. À la suite de trois voyages en Hollande, il fut, en récompense de son zèle, inscrit parmi les nobles de la Suède. Il remplit encore des missions en Allemagne, en Bohême et en Danemark. Il mourut à trente-six ans, laissant la réputation d’un bon critique et d’un amateur éclairé des belles-lettres. On a de lui : Variarum lectionum lib. VI ; Leyde, 1618, in-4o : les remarques portent à la fois sur les auteurs grecs et latins ; — J. Ridgersii vita ab ipso conscripta ; ibid., 1646, in-4o de 14 p. : elle va jusqu’en 1623, et a été réimpr. à la suite des poésies latines ; — Poemata ; ibid., 1653, in-12, à la suite des vers de Nicolas Heinsius, neveu de l’auteur ; — Lectiones Veimsinæ, dans l’édit. d’Horace de Burmann ; Utrecht, 1699, in-l2 ; — Glussarïum græcum ; Wittemberg, 1729, in-8o, destiné surtout à l’éclaircissement des Halieutiques d’Oppien. Ruigers a encore publié les Orationes de Baudius (Leyde, 1625, in-8o), ainsi que des notes sur Martial, Apulée et Quinte-Curce.

J. Rutgersii Vita. — Sweert, Athenæ belgicæ. — Niceron, mémoires, XXXIL

RÜTHERFORTH (Thomas), physicien anglais, né le 13 octobre 1712, dans le comté de Cambridge, mort le 5 octobre 1771. Il étudia dans l’université de Cambridge, et en fut ensuite un des agrégés ; depuis 1745 il y professa la théologie. Il devint chapelain du prince de Galles,

  1. La Complainte de Guillaume de Saint-Amour débute par l’imitation d’un passage du roman de Tristan (Fragments, t. II, p 216). On la retrouve dans la Complainte de la France, imtée d’Ysaïe (lisez Jérémie, Lament., c. I, v. 12). Ms. de la Bibl. de la ville de Berne.