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Et tous, ces sots bavardages durèrent jusqu’à ce qu’Anselme eut quitté le jardin.

L’archiviste entra dans la chambre bleu azur, le porphyre et le pot d’or avaient disparu, et à leur place se trouvait une table couverte de velours violet, sur laquelle était placé le matériel d’écriture bien connu d’Anselme. Il y avait aussi un fauteuil garni de la même façon que la table.

— Mon cher monsieur Anselme, dit l’archiviste, vous m’avez copié déjà plusieurs manuscrits rapidement et à ma grande satisfaction. Vous avez acquis ma confiance ; mais le plus important reste à faire, et c’est la copie ou plutôt l’imitation d’œuvres écrites en caractères particuliers, et que je conserve dans cette chambre. Elles doivent être faites sur place. Vous travaillerez ici à l’avenir, mais je dois vous recommander l’attention la plus scrupuleuse, une tache d’encre jetée sur l’original vous précipiterait dans les plus grands malheurs.


Il quitta la chambre, et Anselme commença à travailler.


Anselme fit la remarque que du tronc du palmier s’avançaient de petites feuilles d’un vert d’émeraude. L’archiviste prit une de ces feuilles, et Anselme vit que la feuille consistait en un rouleau de parchemin, que l’archiviste développa, et qu’il étendit sur la table. Anselme ne fut pas médiocrement surpris de l’étrangement des replis des caractères, et en voyant la quantité de points, de traits, de lignes, d’enroulements qui semblaient représenter tantôt des plantes, tantôt de la mousse, ou bien des figures d’animaux, il fut sur le point de perdre le courage et l’espérance de reproduire exactement tant de choses, et il tomba dans de profondes réflexions.

— Ayons du cœur, jeune homme ! s’écria l’archiviste ; si tu as la foi et un véritable amour, compte sur l’aide de Serpentine.

Sa voix résonnait comme un métal sonore, et lorsqu’Anselme jeta sur lui un rapide coup d’œil, l’archiviste Lindhorst était debout en costume royal, comme il lui était apparu dans sa bibliothèque à sa première visite

Anselme se sentit comme sur le point de tomber plein de respect à genoux devant lui ; mais il s’éleva sur les branches d’un palmier et disparut dans les feuilles d’émeraude. Anselme comprit qu’il avait parlé au prince des esprits, et que celui-ci était parti pour son cabinet de travail pour converser peut-être avec un rayon envoyé par les planètes en ambassade au sujet de ce qui devait lui arriver à lui et à Serpentine.

— Il est encore possible, pensa-t-il après, qu’il attende des nouvelles des sources du Nil, ou qu’il ait reçu la visite d’un magnat de Laponie. Ce que j’ai de mieux à faire maintenant est de me mettre au travail. Et il commença à étudier les caractères étranges du rouleau de parchemin.

L’étonnante musique du jardin vint à résonner et l’entoura des plus doux parfums ; il entendit aussi babiller les oiseaux, mais il ne comprenait pas leur langage : ce qui lui faisait plaisir. De temps en temps on aurait dit que les feuilles d’émeraude du palmier s’agitaient avec bruit, et alors retentissaient à travers la chambre les doux sons de cristal qu’Anselme avait entendus sous le sureau au jour mystérieux de l’Ascension.

Et à ces sons, à cette lumière, Anselme se sentait venir merveilleusement des forces nouvelles, et il attachait toujours plus intimement ses sens et sa pensée aux caractères tracés sur le parchemin, et il comprit bientôt que ces signes n’avaient d’autre signification que ces mots :

— Des fiançailles du salamandre avec la couleuvre verte.

Alors un fort accord de tierce partit des cloches de cristal.

— Anselme, cher Anselme ! soupira une voix venue des feuilles.

Ô miracle, la couleuvre verte descendit en ondoyant du tronc du palmier.

— Serpentine, belle Serpentine ! s’écria Anselme dans le délire d’une suprême félicité. Car en regardant avec une attention plus grande il vit une admirable jeune fille s’avançant comme en volant à sa rencontre, et elle le regardait avec ces yeux bleu foncé pleins d’un ineffable amour, ces yeux qui vivaient en son âme. Les feuilles parurent s’abaisser et s’étendre, de tous côtés des épines jaillissaient des troncs ; mais Serpentine se tournait et se glissait adroitement parmi ces obstacles, tandis qu’elle tirait après elle sa robe flottante, et comme brillante de peinture, en la serrant contre son corps souple : de cette manière, son vêtement ne resta nulle part accroché par les épines et les pointes qui s’étaient dressées en avant.

Elle s’assit auprès d’Anselme sur la même chaise, l’entourant de ses bras et le serrant contre elle, de sorte que le souffle de sa douce haleine le touchait, et qu’il sentait la chaleur électrique de son corps.


Oh ! que je suis heureux ! soupira Anselme.


— Cher Anselme ! lui dit-elle, bientôt lu m’auras conquise par la foi et par l’amour, et je t’apporterai le pot d’or qui nous rendra heureux pour toujours.

— Ô belle et chère Serpentine, disait Anselme, que je te possède seulement, et le reste me touchera peu. Lorsque tu seras à moi, alors je consens à laisser ma vie dans toutes ces choses étranges et merveilleuses qui m’ont assailli depuis le jour où je l’ai vue.

— Je sais, continua Serpentine, que tout cet inconnu, tout cet incompréhensible dont mon père t’a souvent entouré pur un jeu de son caprice a éveillé en toi une crainte secrète ; mais cela, je l’espère, ne doit plus arriver, et dans ce moment je suis là, mon cher Anselme, pour te raconter dans les plus grands détails et du fond de mon esprit, du fond de mon cœur, ce qu’il faut que tu saches pour connaître mon père, surtout pour bien comprendre les circonstances qui m’unissent à lui.