Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/110

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sur la grande route qui traversait le milieu du bois, Fabian aperçut au loin venir vers eux en trottant un cheval sans cavalier, qui soulevait sur son passage des nuages de poussière. « Ho, ho ! s’écria-t-il en s’interrompant tout-à-coup, ho, ho ! voilà une maudite rosse qui s’est emportée, et qui aura jeté bas son cavalier. Il faut l’arrêter, et tâcher de retrouver son maître. » À ces mots, il se porta sur le milieu de la route. Le cheval approchait de plus en plus, et les deux amis crurent distinguer alors des bottes fortes pendantes de chaque côté et s’agitant en l’air en tout sens, et quelque chose de noir remuant sur la selle. Enfin, un cri de prrr — prrr ! perçant et prolongé retentit aux oreilles de Fabian, que frisa au même instant une paire de bottes lancée avec violence, et un petit corps noir et difforme roula entre ses jambes. Le grand cheval resta coi et immobile comme un mur ; seulement il flairait, le cou tendu, son exigu cavalier, qui, se vautrant péniblement dans le sable, parvint enfin à se dresser sur ses jambes.

Ce petit bout d’homme avait la tête profondément enclavée entre ses épaules ; avec sa double protubérance sur le dos et sur la poitrine, son buste trapu et ses jambes d’araignée longues et grêles, il ressemblait à une pomme fichée sur une fourchette, et où l’on aurait entaillé un masque grotesque. Fabian, à l’aspect de ce singulier petit monstre, partit d’un grand éclat de rire ; mais le petit enfonça d’un air arrogant sur ses yeux son petit béret, qu’il avait ramassé, et il demanda d’une voix rauque et criarde