Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/285

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maints groupes de bourgeois et d’ouvriers endimanchés, les uns consommant un frugal repas sur le gazon fleuri, les autres se régalant dans les guinguettes, en proportion de leur gain de la semaine.

Au moment donc où Ludwig allait appuyer d’un nouveau syllogisme sa profonde doctrine de l’enchaînement des choses, il trébucha contre une grosse racine d’arbre qu’il n’avait pas vue, en dépit de ses lunettes, et il tomba par terre tout de son long.

« Cela était prévu dans l’enchaînement des choses : sans cette chute malencontreuse, le monde à l’instant se fût abimé de fond en comble ! » Ainsi dit Euchar avec le plus grand sang-froid, puis il releva le chapeau et la canne de son ami, qui avaient été lancés à une certaine distance, et vint lui tendre enfin la main pour le remettre sur pied. Mais Ludwig avait reçu au genou droit une forte luxation qui l’obligeait à botter, et son nez, en outre, saignait assez abondamment. Il se détermina à suivre le conseil de son ami, et ils se dirigèrent vers le cabaret le plus proche, malgré la répugnance de Ludwig à fréquenter de pareils endroits, surtout le dimanche. Cette joie expansive du monde bourgeois lui inspirait un singulier sentiment d’angoisse, de même que s’il se fût trouvé dans un lieu peu sûr, du moins pour des gens de sa condition.

Sur la pelouse entourée d’arbres qui se trouvait devant la maison, les promeneurs et les convives avaient formé un cercle compacte et bigarré, du centre duquel s’élevaient les sons d’une guitare et d’un tambour de basque. Ludwig, son mouchoir sur