Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/86

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bords pour éviter que la pluie ne lui tombât dans la bouche.

On tint bientôt généralement pour certain que la demoiselle s’entendait à conjurer le feu et l’eau, à amonceler la grêle et à provoquer l’orage, à tresser des pliques[1], etc., et personne ne révoquait en doute le récit d’un pâtre de moutons, qui disait avoir vu, plein de trouble et d’effroi, la chanoinesse s’envoler dans les airs sur un balai, avec un affreux bruissement, et précédée d’un énorme cerf-volant noir, entre les cornes duquel jaillissaient à une grande hauteur des flammes bleues. Dès-lors un soulèvement général se déclara, on voulait s’emparer de la sorcière, et les prud’hommes du village ne résolurent rien moins que d’aller enlever la demoiselle du chapitre pour la jeter à l’eau, et lui faire subir ainsi l’épreuve ordinaire à laquelle on soumet les sorcières. Le baron Prætextatus laissa grossir l’orage, et se disait à lui-même avec un sourire de satisfaction : Voilà ce qui arrive à de simples gens sans aïeux qui ne sont pas d’une vieille et bonne origine, comme les Clair-de-Lune ! »

Mais la demoiselle, instruite de ce menaçant désordre, s’enfuit à la Résidence, et bientôt après le baron Prætextatus reçut un ordre du cabinet du prince souverain, par lequel on lui notifiait qu’il n’existait point de sorcières, qu’il eût à faire incarcérer les prud’hommes du village en punition de leur impertinente curiosité d’avoir voulu juger de l’habileté à nager d’une chanoinesse, et qu’il signifiât aux autres paysans, ainsi qu’à leurs femmes, de ne plus

  1. Le mot de plique désigne une maladie des cheveux dans laquelle ils s’entremêlent confusément et adhèrent ensemble, au point qu’il devient impossible de les démêler, et qu’il en sort du sang quand on les coupe.