Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/159

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il me saisit avec une vigueur de géant, mais le poignard, dirigé sur mon sein d’une main sûre, glissa sur le fer. Aussitôt je me débarrassai de lui, et lui plongeai dans la poitrine le poignard dont j’étais armé.

— Et vous avez gardé le silence, demanda mademoiselle de Scudéry, vous n’avez pas déclaré à la justice ce qui vous était arrivé ? — Permettez-moi, mademoiselle, répliqua monsieur de Miossens, de vous faire observer qu’une semblable déclaration aurait eu pour résultat, sinon précisément de me perdre, du moins de m’envelopper dans le plus horrible des procès. La Reynie, qui flaire partout des crimes, m’aurait-il cru de prime abord, si j’avais dénoncé comme mon meurtrier l’honnête Cardillac, le parfait modèle de tout honneur et de toute vertu ? Et qui sait si le glaive de la justice ne se fût pas retourné contre moi-même ?

— Cela n’était pas possible, s’écria mademoiselle de Scudéry, votre condition, votre rang… — Oh ! repartit le colonel, songez un peu au maréchal de Luxembourg, que l’idée de se faire tirer son horoscope par Lesage, fit soupçonner du crime d’empoisonnement et conduisit à la Bastille. Non, par saint Denis ! je ne mettrai pas une heure de liberté, pas le bout de mon oreille, à la merci du furibond La Reynie, qui nous poserait volontiers à tous, s’il le pouvait, le couteau sur la gorge !

— Mais vous conduirez ainsi l’innocent Brusson à l’échafaud ? dit mademoiselle de Scudéry en l’interrompant. — Innocent ! mademoiselle, répliqua le comte,